Pourquoi le Groenland est-il dans le viseur de Trump?

Le Groenland est un territoire autonome où la justice et les politiques monétaire, étrangère, de défense et de sécurité dépendent de Copenhague.
Photo: Ida Marie Odgaard Ritzau Scanpix Agence France-Presse Le Groenland est un territoire autonome où la justice et les politiques monétaire, étrangère, de défense et de sécurité dépendent de Copenhague.

Territoire autonome du Danemark grand comme quatre fois la France, mais recouvert à 80 % de glace, le Groenland est source de fascination pour ses supposées ressources minières et son importance géostratégique, au point de susciter des velléités d’annexion de la part de Donald Trump.

Le président américain désigné a jugé avant Noël que le contrôle du Groenland était « une nécessité absolue » pour « la sécurité nationale et la liberté à travers le monde ».

Mardi, il a refusé d’exclure la possibilité de recourir à la force pour l’annexer, ce qui a provoqué la stupéfaction dans ce territoire et à Copenhague comme dans les autres capitales européennes, Paris dénonçant « une forme d’impérialisme ».

Le Danemark est cependant « ouvert au dialogue » pour « s’assurer que les ambitions américaines » dans l’Arctique « sont satisfaites » à l’heure où les rivalités avec la Chine et la Russie dans la région augmentent, a déclaré mercredi son ministre des Affaires étrangères, Lars Løkke Rasmussen.

Tandis que pour le secrétaire d’État du président Joe Biden, Antony Blinken, « l’idée exprimée à propos du Groenland n’est évidemment pas bonne, mais, peut-être plus important encore, cela ne va pas se produire », comme il l’a souligné le même jour.

Plus proche de New York

Le Groenland est un territoire autonome où la justice et les politiques monétaire, étrangère, de défense et de sécurité dépendent de Copenhague.

Toutefois, sa capitale étant plus proche de New York que de Copenhague, l’île fait partie de la zone d’intérêt des États-Unis, note auprès de l’Agence France-Presse l’historienne Astrid Andersen, de l’Institut danois des études internationales.

« Pendant la guerre, quand le Danemark était occupé par l’Allemagne, les États-Unis se sont saisis du Groenland. D’une certaine manière, ils ne l’ont jamais quitté », explique-t-elle.

Les États-Unis ont toujours une base active dans le nord-ouest de l’île, à Pituffik. Le Groenland offre ainsi la trajectoire la plus courte pour le tir de missiles vers la Russie.

En outre, « les États-Unis se plaignent légitimement du manque de surveillance de l’espace aérien et sous-marin à l’est du Groenland », relève le politologue Ulrik Pram Gad, confrère de Mme Andersen.

Quand la fonte des glaces libère les routes maritimes, « le problème est légitime, mais Trump utilise des termes exagérés », estime-t-il.

Le milliardaire américain avait dit au cours de son premier mandat, en 2019, vouloir acheter le territoire et s’était déjà vu opposer une fin de non-recevoir.

Secteur minier inexistant

Nouveau mandat, nouvelles ambitions ? Les experts sont perplexes.

« On est toujours dans l’attente lorsqu’il s’agit de savoir exactement ce que le gouvernement Trump veut dire », indique Lill Rastad Bjørst, une spécialiste de l’Arctique de l’Université d’Aalborg (ouest).

Depuis 2009, il revient aux Groenlandais de décider de l’usage de leurs matières premières. L’accès aux ressources minérales du Groenland est jugé crucial par les Américains, qui ont signé en 2019 un mémorandum sur la coopération dans ce secteur.

Les Européens leur ont emboîté le pas quatre ans plus tard avec leur propre accord de collaboration.

Les sols groenlandais sont extrêmement bien cartographiés, ce qui a permis l’établissement d’une carte détaillée des ressources.

L’Union européenne a ainsi identifié 25 des 34 minéraux de sa liste officielle de matières premières essentielles, y compris les terres rares.

« Avec l’augmentation de la demande en minéraux, on a besoin d’aller chercher des ressources inexploitées », relève Ditte Brasso Sørensen, experte en géopolitique et directrice adjointe du groupe de réflexion Europa.

« Les acteurs [internationaux] sont de plus en plus conscients de la nécessité de diversifier leurs sources d’approvisionnement, en particulier lorsqu’il s’agit de la dépendance de la Chine à l’égard des terres rares. »

À cela s’ajoute la crainte que la Chine ne mette la main sur les ressources minérales, dit-elle.

Pourtant, actuellement, le secteur est inexistant. Seules deux mines sont exploitées au Groenland : l’une de rubis, qui cherche de nouveaux investissements, et l’autre d’anorthosite, un métal qui contient du titane.

Dépendance financière

Économiquement, ce territoire, qui cherche à s’émanciper du Danemark, dépend d’une subvention de Copenhague, qui représente un cinquième de son produit intérieur brut, et de la pêche.

Beaucoup d’espoirs sont placés dans l’ouverture en novembre d’un aéroport international à Nuuk, sa capitale, car il devrait en particulier permettre le développement du tourisme, si les infrastructures s’améliorent.

La question des infrastructures est essentielle pour l’industrie minière.

« Concernant les industries extractives, M. Trump a placé le Groenland sur la carte de l’exploitation minière, mais c’est difficile de dire comment cela pourrait évoluer parce qu’il manque d’investisseurs », résume Lill Rastad Bjørst.

Ditte Brasso Sørensen met en exergue les difficultés intrinsèques locales de l’activité : « des conditions climatiques très rudes, un environnement protégé et beaucoup de coûts, accompagnés de la nécessité de développer les infrastructures physiques et numériques ».

« Le système réglementaire, qui n’a pas encore fait ses preuves, ajoute également aux incertitudes », dit-elle.

L’opposition de la population à l’extraction d’uranium dans le sud a mené à une loi interdisant l’extraction de produits radioactifs.

Autre source de fantasme, les énergies fossiles, dont l’exploitation est aujourd’hui au point mort.

« Le gouvernement du Groenland a suspendu la prospection pétrolière au Groenland et voit un grand potentiel dans l’hydroélectricité », développée avec l’aide des Danois, conclut Mme Rastad Bjørst.

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