Et si on sortait de la bipolarisation?

«Lorsqu’on parle en public ou quand on répond à des journalistes, il est fréquent de se laisser entraîner par une rhétorique de l’hyperbole», observe l’auteur.
Photo: Semen Salivanchuk Getty Images «Lorsqu’on parle en public ou quand on répond à des journalistes, il est fréquent de se laisser entraîner par une rhétorique de l’hyperbole», observe l’auteur.

Dans son texte paru mardi dans Le Devoir, le professeur Jonathan Durand Folco dénonce cette « dynamique de dédiabolisation, qui consiste à diaboliser son adversaire politique tout en se dédiabolisant soi-même » ; mais l’un des problèmes que pose, selon moi, son intervention, c’est qu’il tombe exactement dans le travers qu’il reproche à ses adversaires.

À son tour, il diabolise en effet les propos de François Legault, de Paul St-Pierre Plamondon et de Mathieu Bock-Côté, qu’il qualifie d’« exagérés », d’« extrêmes », de « clivants » et même d’« inacceptables », tandis que, dans le même temps, il considère les « discours marqués à gauche » comme « des positions modérées », qui seraient « en faveur de la tolérance et [de] la diversité », « du nationalisme civique, de l’interculturalisme et de la justice sociale ».

En agissant de cette manière, il ne fait donc lui-même que nourrir cette « dynamique » de diabolisation et de polarisation du champ politique. Ne serait-il pas plus responsable d’essayer de sortir de cette polarisation — dont les États-Unis nous offrent un avant-goût de la direction où elle risque fort de nous entraîner ?

Pour ce faire, il faudrait peut-être commencer par cesser de tenir tel ou tel discours pour « inacceptable ».

À mon sens, les propos d’Haroun Bouazzi (qui a déclaré : « Je vois ça à l’Assemblée nationale tous les jours — la construction de cet Autre, de cet Autre qui est maghrébin, qui est musulman, qui est Noir ou Autochtone, et de sa culture qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure. ») ne sont pas plus inacceptables que ceux de François Legault (« 100 % du problème de logement viennent de l’augmentation du nombre d’immigrants temporaires. ») ou ceux de Paul St-Pierre Plamondon (qui parle d’une « crise sociale sans précédent »), que cite également Jonathan Durand Folco.

Nos paroles — surtout nos paroles — peuvent être parfois maladroites, parfois exagérées ; ce n’est pas si grave que ça. Lorsqu’on parle en public ou quand on répond à des journalistes, il est fréquent de se laisser entraîner par une rhétorique de l’hyperbole.

Au-delà de ces déclarations brèves, incisives, tonitruantes, en partie destinées à faire le buzz sur les réseaux sociaux (à quoi se résume trop souvent aujourd’hui la joute politique telle qu’elle est retransmise par les médias), l’important serait d’être en mesure, ensuite, d’expliquer ces paroles, de justifier nos propos, d’exposer nos arguments, nos idées, de prouver que nous ne disons pas n’importe quoi. C’est ce à quoi le public et les journalistes devraient inviter nos responsables politiques.

Pourquoi le premier ministre juge-t-il que le « problème du logement » est lié à « l’augmentation du nombre d’immigrants » ? Pour quelles raisons le chef du Parti québécois estime-t-il que les seuils actuels d’immigration sont responsables d’une « crise sociale sans précédent » ? À quoi Haroun Bouazzi fait-il référence précisément quand il juge raciste la « construction de cet Autre » à laquelle il assiste à l’Assemblée nationale ?

Le public aurait alors à juger s’il y a ou non au moins un fond de vérité dans ces affirmations à l’emporte-pièce. Il pourrait se demander si l’immigration a un effet sur la crise du logement, si ce même phénomène est susceptible d’engendrer une « crise sociale » et s’il est d’accord avec la définition du racisme sur laquelle s’appuie M. Bouazzi.

C’est en effet ce règne de la petite phrase, du slogan et de l’indignation qu’ils suscitent en permanence qui nous empêche de débattre collectivement, et surtout sereinement, des défis qui concernent le Québec et son avenir. L’indignation, quelle que soit sa cause, ne fait qu’inviter les indignés à se camper sur leur position et à dénoncer sans relâche ceux qui en sont la cause et, surtout, ceux qui ne la partagent pas.

Elle engendre des opposants indignes que l’on se croit ensuite en droit d’insulter, de menacer, nourrissant alors, en un cercle particulièrement vicieux, une contre-indignation, qui suscite à son tour une surenchère et des répliques de plus en plus virulentes. Il en résulte un climat de suspicion et de dénonciation permanent, ainsi qu’une montée du discours aux extrêmes qui rend délétère le débat public.

Rendre un seul camp responsable de cet état de fait n’est pas tout à fait honnête. Les « positions modérées d’autrefois en faveur de la tolérance et de la diversité » qui seraient, selon Jonathan Durand Folco, celles de la « gauche » ne sont pas devenues tout à coup « extrémistes » aux yeux de nombreux Québécois qui se feraient laver le cerveau depuis des années par des influenceurs populistes de droite et d’extrême droite. Les « positions » défendues par Haroun Bouazzi et ceux qui le soutiennent — qui n’ont rien à voir avec le « nationalisme civique », encore moins avec « l’interculturalisme », et qui constituent une conception bien particulière de « la justice sociale » — ne font pas l’unanimité. C’est tout. J’ajouterai : c’est normal.

S’ils veulent convaincre une majorité de Québécois du bien-fondé de leurs prises de position, qu’ils les exposent publiquement, qu’ils accompagnent leurs thèses des arguments qui les soutiennent, sans anathèmes. Qu’ils reconnaissent, autrement dit, sans les traiter pour autant de « racistes », le droit à leurs concitoyens de ne pas être d’accord avec eux.

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