Réveiller la ferveur québécoise (2). «Quelque chose comme un grand peuple»

«Nous avons besoin d’un horizon qui pourrait conjuguer nos héritages et nos acquis, remettre de la ferveur dans nos vies», écrit l’auteur.
Photo: François Roy La Presse canadienne «Nous avons besoin d’un horizon qui pourrait conjuguer nos héritages et nos acquis, remettre de la ferveur dans nos vies», écrit l’auteur.

Voici un plaidoyer candide qui fait appel aux élans de l’esprit et du cœur. Il suppose que plusieurs d’entre nous demeurent ouverts à l’engagement, au dépassement.

Le retour à la nation

Jusque dans les années 1990, l’État-nation était le lieu principal du rêve et de l’action. Avec le néolibéralisme et la mondialisation culturelle, ce lieu s’est déplacé pour s’étendre à la planète. C’était une utopie à deux volets : économique et culturel. Elle ne concernait pas précisément le Québec, mais il y était inclus, comme bien d’autres et un peu malgré lui.

Le premier volet a échoué. Il devait placer les États dans l’interdépendance, il les a mis dans la dépendance. Il ferait lever tous les bateaux, il a engendré une caste d’ultrariches qui intimident les nations. Il a produit de nouvelles formes de criminalité, des migrations de la misère, des paradis fiscaux et un nouvel esclavage dans les pays pauvres. Il a aidé à l’émergence d’États autoritaires et corrompus.

Le dossier de la mondialisation culturelle est plus complexe. Elle a certes enrichi les cultures nationales en favorisant une ample diffusion de l’information, du savoir et des idées. Mais elle a aussi charrié des scories comme les réseaux sociaux et une culture infantilisante. Elle a contribué à répandre la désinformation et la polarisation. En ce sens, elle a rétréci les esprits.

Dans un cas comme dans l’autre, on est amenés à revenir à la nation.

En quête d’un ressort

Dans le premier volet de cette réflexion (dans l’édition du Devoir des 1er et 2 février), j’ai parlé d’une grande infortune qui peut agir comme ressort à une nouvelle ferveur, une infortune comme celles que nous avons déjà connues. Mais nous ne sommes pas aujourd’hui contraints d’effectuer un grand rattrapage comme dans les années 1960. Nous ne sommes pas non plus menacés d’extinction comme au XIXe siècle. Notre société souffre de nombreuses carences, mais elle n’est ni infirme ni démunie. C’est une société instruite qui a des ressources et qui a fait sa marque dans des domaines clés.

Ce qui pourrait tenir lieu de ressort, c’est le marasme dans lequel nous nous trouvons. Mais il n’a pas la même portée que ceux déjà évoqués, il faut lui ajouter des motivations qui relèvent non pas d’une défaillance structurelle, mais d’un choix collectif. On pense à une autre image de nous-mêmes, à un sentiment de fidélité et de dignité, d’une dette envers notre passé et notre avenir. Donnons raison à René Lévesque : nous sommes une petite nation, mais aussi « un grand peuple ».

Tablant sur nos avantages, nos ressources, nos talents, le nouveau rêve devrait inviter au dépassement, à l’exaltation de la réussite, à nous projeter vers l’avant en vainqueurs. Il invite à un élan collectif qui engendrerait une société créatrice, à l’avant-garde, avec le goût du risque. Dans le cours de notre histoire, nous avons longtemps subi la pauvreté, le mépris, l’humiliation ; nous avons souvent pratiqué la patience, la résignation, la courbette, l’art de la défaite. Essayons donc l’ambition, l’exaltation, l’audace, la soif de vaincre, comme certains des nôtres l’ont fait déjà et comme les années 1960 en ont donné l’exemple.

Offrons-nous l’ivresse de rouler dans le peloton de tête.

Le pari de la grandeur

Pour en arriver à quoi ? À assigner à la petite nation une vocation de grandeur. À se constituer en une société avancée, originale, qui tend toutes ses énergies et apprend à se gouverner avec cohérence et sagesse à la poursuite d’un grand objectif qui élève. À apprivoiser des mots qui nous semblaient hors d’atteinte — comme les États-Unis qui, à leur naissance, parlaient de la poursuite du bonheur, ou comme la France qui, en 1789, se destinait au culte de la fraternité. « Je me souviens », c’est très bien comme devise, mais pourquoi ne pas ajouter « j’ose, j’imagine, je crée » ? Ce ne serait pas mal non plus.

Cela ne nous tenterait pas d’ériger une société qui se signalerait par son capital de vertu civique ? Qui mettrait un soin particulier à réduire la pauvreté tout en excellant en affaires, à voir dans ses minorités et ses immigrants des alliés plutôt que des suspects ? À secouer la lassitude pour retrouver la chaleur de la solidarité dans l’action ? À communiquer aux jeunes le goût d’un avenir, à les inviter à sortir de leur moi ?

Nous avons hérité de notre passé ancien ou récent un corpus de valeurs auxquelles nous sommes restés fidèles : égalité sociale, démocratie, pluralisme, solidarité, attachement à la nation, entre autres. Nous sommes tentés de les tenir pour acquises alors qu’il faudrait les raviver. On pourrait essayer de les souder dans un grand effort conjoint, de les réunir dans une convergence sous une enseigne qui les résume et les relance, qui leur donne une nouvelle vie. Nous avons besoin d’un horizon qui pourrait conjuguer nos héritages et nos acquis, remettre de la ferveur dans nos vies.

Un choix

Je sais, il y a beaucoup de candeur dans cette proposition. Mais n’est-ce pas ce dont nous avons besoin en ce moment : une dose de rêve, d’utopie ? De la lumière dans notre grisaille ? N’est-ce pas toujours dans un idéal profondément intériorisé et ardemment poursuivi qu’une société parvient à réaliser quelque chose de bien ? L’histoire ne promet rien pour les peuples qui se contentent de peu.

On aura peut-être deviné que ce texte comporte une dimension personnelle. Né, comme un très grand nombre de Québécois, dans un milieu social peu favorisé, apparemment fermé aux grandes destinées collectives, j’ai mis du temps à comprendre que les origines ne dictent pas le parcours d’une société. Pour les nations comme pour les personnes, la vie est un choix. C’est ce que notre passé nous enseigne.

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