Réveiller la ferveur québécoise (1). Les rêves collectifs

La passion qui a animé la Révolution tranquille puis le mouvement souverainiste n’est plus là, observe l’auteur.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir La passion qui a animé la Révolution tranquille puis le mouvement souverainiste n’est plus là, observe l’auteur.

Je l’ai déjà signalé à quelques reprises, le Québec est une société qui ne rêve plus. C’est une rupture avec notre passé, notre société ayant toujours poursuivi de grands rêves mobilisateurs. Ce fut le cas dans la sphère politique au cours des premières décennies du XIXe siècle avec le mouvement patriote. Lui a succédé pendant un siècle, cette fois dans la sphère culturelle, l’idéal de la Survivance. Il s’agissait de sauvegarder le caractère catholique et français de notre société contre l’influence américaine et les « mauvaises idées » venues d’Europe. On voulait aussi édifier, idéalement dans la ruralité, un christianisme modèle.

Vint ensuite la Révolution tranquille, un épisode de rêve intense, mais aussi d’importantes réalisations dont l’héritage nous accompagne encore aujourd’hui (laïcité, liberté d’expression, politiques sociales, etc.). Enfin, dans le prolongement de l’effervescence des années 1960, nous avons vécu la chevauchée souverainiste.

Or, il y a 25 ou 30 ans, nous avons cessé de rêver. Nous sommes peut-être en transition ? Ce serait supposer que nous savons où nous allons, qu’un grand projet s’apprête à nous mobiliser. Ce n’est pas le cas. La lutte contre le réchauffement climatique, par exemple, est une préoccupation généralisée, mais elle n’arrive pas à provoquer un vigoureux mouvement collectif qui se traduise dans la sphère politique. L’idée de souveraineté refait surface, mais, pour l’instant, elle ne soulève pas les foules et l’espoir qu’elle porte se heurte à de très douloureux souvenirs.

Cette situation n’est pas saine. Nous sommes une petite nation pénétrée depuis longtemps du sentiment de sa fragilité. Il est salutaire de nous sentir tous engagés dans une grande entreprise qui nous fortifie, qui crée une tension positive et constitue une source d’énergie. Une autre raison, c’est que le monde continue de bouger autour de nous ; nous ne voulons pas être en reste.

Enfin, il est difficile de gouverner d’une façon cohérente sans avoir une idée claire de nos finalités. Le gouvernement Legault en offre une illustration éloquente. Notre premier ministre, surtout, agit d’une façon brouillonne : il gouverne à vue, improvise, s’emploie parfois à éteindre des feux qu’il a lui-même allumés.

Cependant, sur le plan des valeurs auxquelles nous souscrivons, il n’y a pas lieu de parler de crise, nous n’en sommes pas là. Pensons à la démocratie, à la laïcité, à l’égalité hommes-femmes, au pluralisme et autres. La société civile reste attachée à ces valeurs. Deux facteurs font défaut. C’est d’abord le manque de ferveur. La passion qui a animé la Révolution tranquille puis le mouvement souverainiste n’est plus là. C’est aussi que le soutien aux valeurs s’est segmenté, chacune suivant un cheminement relativement autonome pris en charge par différents acteurs et actrices.

À cet égard, on peut tirer une importante leçon de la Révolution tranquille. L’une de ses caractéristiques principales tient dans la convergence qui s’était établie entre les directions d’action (sociale, politique, économique, culturelle), si bien qu’une avancée dans l’une se répercutait dans les autres, ce qui favorisait le mouvement de l’ensemble. En d’autres mots, la pluralité des trames se fondait dans une action commune qui amplifiait leur impact en les conjuguant. On peut y voir une explication de l’ampleur des changements réalisés dans un si court laps de temps. On soupçonne aussi que ce facteur explique la faiblesse des résistances qui leur furent opposées.

Suivant la même logique, il existait une ouverture, sinon une polyvalence dans les objectifs des acteurs : le syndicalisme ne plaidait pas que pour les intérêts des travailleurs ; les jeunes voyaient beaucoup plus loin que leur avenir professionnel ; les militants religieux n’en avaient pas que pour la sauvegarde de la foi ; le milieu des affaires était ouvert à la modernisation de notre société, notamment à la démocratisation de l’éducation ; à peu près tout le monde appuyait la laïcisation ; l’essor du féminisme s’insérait dans la lutte pour le relèvement social, contre l’exploitation et pour la défense des droits, etc. On n’observe pas un phénomène semblable aujourd’hui.

J’ai présenté séparément ces deux facteurs (manque de ferveur et manque de convergence dans les finalités et modes d’action), mais on voit bien aujourd’hui qu’ils sont liés de près. L’inertie et la tiédeur dans la sphère politique reproduisent la segmentation dans l’action collective.

En quête d’un nouveau rêve collectif

Un rêve collectif tient une société sur le qui-vive, il la fait progresser, il suscite l’engagement des citoyens et il donne aux jeunes un matériau propre à nourrir leur imaginaire, à concevoir un idéal, à prendre parti dans la vie. Mais comment engendrer le rêve ? Dans le passé, nos rêves étaient solidement ancrés dans la conjoncture, dans de puissants ressorts. Il y avait une menace à repousser, un déséquilibre nocif à redresser, une situation de grande injustice à éliminer.

Pour les patriotes, le ressort était de libérer la société du colonialisme. Pour les chantres de la Survivance, c’était de contrer la dissolution de la nation en l’ancrant dans le religieux et la tradition. Pour les militants de la Révolution tranquille, c’était de sortir le Québec d’une situation de sous-développement et de retard qui faisait honte, de le lancer à la poursuite d’autres idéaux accordés au monde qui se refaisait. Pour les souverainistes, c’était de donner à notre société les pouvoirs nécessaires à son plein développement.

Quel pourrait être le ressort aujourd’hui ? Après une longue période de changements, d’ajustements et de progrès, de quoi souffrons-nous principalement ? Il n’y a pas de grande fracture à réparer comparable à l’ancien colonialisme ou à l’urgence de la Survivance. Paradoxalement, en guise de ressort, nous souffrons surtout d’un marasme, du sentiment général que — pour paraphraser une formule bien connue — ça ne va pas bien.

Dans ces conditions, comment susciter de grandes initiatives, de nouveaux dynamismes, et les mettre en convergence ? Quel est l’enseigne ou l’horizon qui pourrait les chapeauter et nous mobiliser, toutes générations et toutes professions confondues ?

À suivre…

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