Provoquer une «tempête locative parfaite»

Cette hausse importante du montant des loyers survient au pire moment, observe l’auteur.
Photo: Valérian Mazataud Archive Le Devoir Cette hausse importante du montant des loyers survient au pire moment, observe l’auteur.

La décision du Tribunal administratif du logement de permettre pour 2025 une augmentation des loyers de 5,9 % constitue un véritable affront pour les 40 % de Québécois qui sont locataires. Mais c’est surtout une monumentale erreur de prétendre s’appuyer pour justifier cette hausse sur un barème d’apparence objective, sans tenir compte de la situation politique que nous sommes en train de vivre et que nous allons potentiellement avoir à affronter durant les quatre prochaines années.

Rappelons d’abord que les hausses de loyer autorisées par le Tribunal administratif du logement (TAL) ont connu ces derniers temps une croissance très importante, passant de 1,28 % en 2022 à 2,3 % en 2023, puis à 4 % en 2024, pour atteindre finalement près de 6 % en 2025. Or, on sait que les hausses réelles des loyers sont, notamment en raison de la crise du logement, souvent supérieures à ces augmentations autorisées par le TAL. Et on sait également que, durant la même période, les salaires n’ont évidemment pas suivi la même courbe ascendante (à titre d’exemple, le salaire minimum n’a été revalorisé que de 3,28 % en mai 2024).

Concrètement, cela veut donc dire que la majorité des locataires ont perdu au fil des ans du pouvoir d’achat, dans un contexte où 45 % d’entre eux consacraient déjà plus de 30 % de leur revenu net au paiement de leur logement. Est-il utile de préciser que les plus pauvres d’entre eux ne pourront absorber ces nouvelles hausses et se retrouveront à la rue ou viendront grossir les rangs de ceux que Québec aide déjà à payer leur loyer (à ce jour, 150 000 Québécois reçoivent une allocation logement) ?

Mais surtout, cette hausse importante du montant des loyers survient au pire moment, puisqu’elle va venir renforcer la crise inflationniste qui ne manquera pas de secouer le Québec et le Canada dans les prochains mois. En effet, quels que soient finalement les tarifs qui frapperont les produits canadiens à leur entrée sur le marché étasunien, cette politique ultraprotectionniste du président Trump se traduira immanquablement ici par un certain nombre de délocalisations d’entreprises, une augmentation importante du nombre de chômeurs et une hausse majeure des prix à la consommation.

Dans ces circonstances, l’impact de cette hausse des loyers sera décuplé. On voudrait provoquer une « tempête parfaite » qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Face à une telle situation, le gouvernement ne peut donc pas se cacher derrière l’indépendance du Tribunal administratif du logement ou derrière une logique purement comptable pour justifier son refus d’intervenir pour juguler cette crise annoncée.

Se serrer la ceinture

Si nous devons nous lancer, bien malgré nous, dans une guerre commerciale avec notre puissant voisin, nous attendons de nos dirigeants qu’ils abandonnent une politique du laisser-faire qui friserait alors l’inconscience et qu’ils fassent preuve d’un volontarisme résolu. Autrement dit, la politique va devoir reprendre ses droits.

Dans les mois qui s’en viennent, il va y avoir bien des décisions difficiles à prendre. Il faudra les assumer et en affronter collectivement les conséquences. Le gouvernement va devoir appeler les Québécois à faire preuve de ténacité et de résilience. Il va devoir aussi les appeler à se serrer la ceinture.

Ces appels ne seront entendus qu’à deux conditions. Tout d’abord, que nous ayons la conviction que nos dirigeants font le maximum et qu’ils prennent toutes les mesures nécessaires pour atténuer les impacts de cette crise sur la majorité des Québécois et des Canadiens. Mais il faudra aussi que le sentiment que chacun d’entre nous contribue soit partagé pour que nous passions tous ensemble à travers cette période pleine de remous et d’incertitude. Rien ne serait plus néfaste que le sentiment contraire, c’est-à-dire que seuls les plus modestes trinquent, tandis que d’autres bénéficient de la crise et continuent de s’enrichir.

Cela minerait définitivement la confiance que nous devons avoir dans nos dirigeants politiques, tout autant que l’unité dont nous avons impérativement besoin si nous voulons affronter les États-Unis dans cette guerre commerciale avec des chances raisonnables de succès, ou du moins sans que des dommages irréparables soient infligés à notre économie, voire au pays lui-même.

À l’orée d’une telle crise, et étant donné ses suites plus que prévisibles, la décision du TAL et surtout le refus du gouvernement du Québec d’intervenir pour l’annuler ou la modifier envoient un très mauvais message et constituent une impardonnable erreur politique.

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