Justin Trudeau persiste et signe en matière de laïcité

Interrogé sur le scandale qui secoue l’école Bedford, Justin Trudeau n’a pu s’empêcher d’invoquer la défense des « libertés d’expression » [sic] et des « libertés fondamentales, auxquelles tous les Canadiens ont droit », comme si celles-ci étaient menacées par la suspension des onze enseignants concernés. Précisant plus tard sa pensée, il a exprimé ses craintes que l’on utilise « des cas d’excès, des exceptions comme ça, pour s’attaquer à la diversité du Québec, aux différentes origines qui rassemblent [re-sic] notre pays ».
On rappellera qu’à l’inverse, en octobre 2020, après le meurtre et la décapitation de l’enseignant français Samuel Paty, le même Justin Trudeau estimait qu’il y avait des limites à la liberté d’expression et qu’il ne fallait pas utiliser celle-ci pour « blesser » certaines personnes « de façon arbitraire ou inutile ».
Autrement dit, à ses yeux, la liberté d’expression doit être limitée quand un enseignant français est assassiné par un terroriste islamiste alors qu’il ne faisait que son métier, dans le respect des programmes d’enseignement et aussi — il convient de le souligner — dans celui de tous ses élèves, y compris ceux de confession musulmane. Mais cette même liberté apparaît menacée dès lors que des enseignants musulmans sont sanctionnés parce qu’ils abusent de leur position d’autorité pour endoctriner religieusement des élèves de l’école primaire et qu’ils refusent d’appliquer les règles et les programmes de l’école québécoise (ce qu’il qualifie seulement d’« excès »).
Disons-le clairement, les « libertés fondamentales » de monsieur Trudeau sont à géométrie variable !
Elles doivent à tout prix être limitées quand il est question d’exprimer des idées (ou de montrer des images) qui contreviennent aux diktats censoriaux de l’islam radical ; en revanche, elles sont défendues bec et ongles s’il s’agit du droit de fonctionnaires d’arborer durant leurs heures de travail des signes religieux ostentatoires ; et on doit, bien sûr, s’inquiéter de leur érosion quand sont sanctionnés quelques enseignants qui ne respectent pas les devoirs les plus élémentaires de leur profession.
Mais qu’en est-il, pourrait-on lui demander, du droit tout aussi fondamental des enfants à recevoir un enseignement dénué de sexisme et exempt d’endoctrinement religieux ?
Toute cette affaire apporte une fois de plus la preuve que les droits de la personne ne constituent pas à eux seuls une politique, mais que c’est la politique qui fait qu’on les interprète de telle ou telle façon. La laïcité n’est pas moins conforme aux « libertés fondamentales » que le libéralisme trudeauiste. Simplement, elle met davantage l’accent sur la neutralité religieuse des institutions comme garantie du droit des individus, alors que le libéralisme canadien entend surtout défendre les minorités religieuses en leur accordant des « accommodements » juridiques et en favorisant leur « entrisme » dans les institutions de l’État.
On pourrait penser que ce favoritisme à l’égard des religions minoritaires relève principalement de motifs bassement électoralistes. À cet égard, il est plutôt évident que Justin Trudeau et son parti tentent depuis des années de séduire les musulmans canadiens (comme d’ailleurs les juifs, les sikhs, etc.). La nomination d’Amira Elghawaby en témoigne, tout autant que l’investiture, en 2019, d’un ancien imam comme candidat dans une circonscription du nord de Montréal.
Il ne faudrait cependant pas croire que ces accointances sont uniquement électoralistes. D’un point de vue plus général, il est dans l’ADN des libéraux canadiens de concevoir la société comme divisée en diverses « communautés » dont le fondement (quand il n’est pas racial ou sexuel) est essentiellement religieux. C’est une conception qui remonte aux origines whigs du libéralisme anglo-saxon, qui eut, dès le départ, pour ambition de gérer le plus harmonieusement possible les relations entre la Couronne, l’Église anglicane et les diverses sectes protestantes que l’on trouvait en Angleterre au XVIIe siècle. Le multiculturalisme canadien et cette « diversité » que Justin Trudeau invoque à tout bout de champ sont conçus sur ce modèle archaïque de citoyens qui appartiennent tous à de telles « communautés », elles-mêmes dotées de représentants légitimes qui servent au gouvernement d’interlocuteurs privilégiés.
Ce communautarisme qui s’impose comme allant de soi en Angleterre comme au Canada (hors Québec) — communautarisme dont les militants islamistes ont très vite compris l’avantage qu’ils pouvaient en tirer — explique en bonne partie l’opposition radicale du Parti libéral du Canada et d’une partie de la population canadienne anglaise à l’idée même de laïcité.
Or, cette conception communautariste est aujourd’hui en grande partie fausse : la majorité des citoyens du Canada (y compris nos concitoyens de confession musulmane) ne sont pas affiliés à de telles « communautés » et ne reconnaissent pas comme leurs porte-parole légitimes des représentants religieux (ou des militants associatifs) le plus souvent autoproclamés.
C’est pourquoi, si l’on désire vraiment favoriser le vivre-ensemble, la laïcité, qui respecte la religion en tant que foi des individus mais exige la plus stricte neutralité religieuse des institutions, apparaît certainement comme un modèle beaucoup plus viable, et surtout plus cohérent, de gestion d’une société pluraliste que ce communautarisme libéral qui flatte sans cesse la frange la plus militante de ces prétendues « communautés » et va jusqu’à leur ouvrir toutes grandes les portes de l’appareil d’État.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.