Pierre Poilievre a déjà choisi son adversaire, et c’est Mark Carney

Le chef conservateur Pierre Poilievre s’exprime lors d’une conférence de presse à Vancouver, le dimanche 2 février 2025.
Photo: Ethan Cairns La Presse canadienne Le chef conservateur Pierre Poilievre s’exprime lors d’une conférence de presse à Vancouver, le dimanche 2 février 2025.

Les militants du Parti libéral du Canada n’ont pas encore choisi qui remplacera Justin Trudeau, mais le chef conservateur Pierre Poilievre a déjà opté pour Mark Carney comme nouvelle cible favorite, montrent des données compilées par Le Devoir.

« On [dit de Mark Carney] qu’il est au centre, qu’il est totalement différent. Regardez, il est capable de coiffer ses cheveux, il porte des chaussures bleues […] Mais non ! Il est tout comme [Justin] Trudeau ! » dit M. Poilievre dans une vidéo mise en ligne le 21 janvier dernier.

Le message fait partie d’une offensive plus large contre l’ex-gouverneur de la Banque du Canada menée depuis la mi-décembre par le politicien conservateur, très prolifique sur YouTube. Une analyse des 237 vidéos qu’il a publiées sur cette plateforme dans les 100 derniers jours montre que Mark Carney a été attaqué davantage (50 fois) que Chrystia Freeland (41 fois). L’ex-ministre des Finances est la principale rivale de M. Carney dans la course à la direction du PLC.

Mark Carney est réapparu sur les radars politiques à l’automne, alors qu’il devenait formellement conseiller de Justin Trudeau sur la croissance économique. Pierre Poilievre a commencé à le cibler dans ses vidéos après qu’il fut révélé que M. Carney était pressenti pour remplacer Mme Freeland comme ministre des Finances. Cette dernière a claqué la porte du gouvernement en décembre.

Chrystia Freeland donnait souvent la réplique au chef conservateur en Chambre, et elle est mise en vedette dans ses publicités négatives depuis longtemps. Or, celles visant Mark Carney sont désormais plus nombreuses, et elles se sont amplifiées à partir de la mi-janvier, ce qui coïncide avec le lancement officiel de la campagne de Carney pour la chefferie du Parti libéral.

Ses attaques ne se trouvent pas que sur YouTube ; elles sont déclinées sur toutes ses plateformes. Pierre Poilievre a par exemple repris dans une publication sur X mardi l’accusation selon laquelle Mark Carney « essaie d’être un gars normal tout en jouant au hockey avec des chaussures à 2000 $. Il est tout comme Justin [Trudeau] ». L’équipe de M. Carney n’a pas démenti le prix des chaussures.

« Pendant que Pierre [Poilievre] se perd dans des distractions, Mark Carney reste concentré sur ce qui compte vraiment : aider les Canadiens à surmonter la crise du coût de la vie et à bâtir l’économie la plus forte du G7 », a déclaré sa porte-parole, Emily Williams, dans un courriel.

Adaptation du message

Ce n’est pas la seule chose qui a changé dans le message de Pierre Poilievre. Après avoir réclamé tout l’automne des élections, présentées comme un « référendum » sur le prix du carbone, le chef conservateur délaisse ce thème pour se concentrer sur celui de la souveraineté économique.

M. Poilievre fait présentement la tournée du pays pour dévoiler son plan, intitulé « Le Canada d’abord ». Il a par exemple promis lundi de construire une base militaire dans l’Arctique avec l’argent économisé en réduisant le budget consacré à l’aide internationale. Les sympathisants conservateurs sont invités à un grand rassemblement samedi à Ottawa sur le thème du « Canada d’abord ». On leur demande de se vêtir de blanc et de rouge, les couleurs du drapeau canadien.

Deux sources conservatrices dans l’entourage du chef ont mentionné au Devoir son souci d’adapter son message, notamment à cause du contexte des relations difficiles avec les États-Unis depuis le retour du président Donald Trump. Le chef de l’opposition approuve l’approche du gouvernement Trudeau de répliquer aux tarifs américains sur le principe de « dollar pour dollar », mais il y ajoute des suggestions de son cru, comme ressusciter le projet de gazoduc GNL-Québec ou envoyer l’armée à la frontière.

M. Poilievre n’a pas utilisé son slogan promettant de mettre « la hache dans la taxe » (de l’anglais « Axe the tax ») lors de ses points de presse depuis le 9 janvier dernier. En parallèle, les candidats favoris dans la course à la direction du Parti libéral, M. Carney et Mme Freeland, ont tous deux promis de se débarrasser de la redevance fédérale sur les combustibles, parfois surnommée taxe carbone « pour les consommateurs ».

Chauffé par les sondages

Le Parti conservateur du Canada a l’habitude de trôner au sommet des sondages depuis le milieu de 2023. Le départ de Justin Trudeau et le retour au pouvoir de Donald Trump à la Maison-Blanche compromettent toutefois sa domination au chapitre des intentions de vote.

La Presse canadienne a rapporté cette semaine les résultats d’un sondage Léger montrant que le PLC dirigé par Mark Carney serait à égalité avec le Parti conservateur, tous deux recueillant l’appui de 37 % des électeurs sondés en février. La firme Pallas est arrivée à une conclusion similaire en février. Un autre sondage Léger indique que M. Carney ferait gonfler le vote libéral au Québec, même s’il a encore peu été entendu en français.

« Quand [Pierre Poilievre] regarde les sondages récents, il se dit que c’est M. Carney qui semble avoir le plus de chances de prendre la place de Justin Trudeau. [Et] il faut qu’il continue d’attaquer », analyse Mireille Lalancette, professeure titulaire de communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Selon l’experte, le plan de M. Poilievre consistant à dénigrer Justin Trudeau ne tient plus la route depuis l’annonce de son départ. Le chef reste toutefois fidèle à sa stratégie gagnante de multiplier les publicités négatives. « Parce que ça fonctionne », précise-t-elle, comme en témoigne le succès de la campagne républicaine au sud de la frontière. « On est dans un moment où il y a beaucoup, beaucoup, de négativisme en politique. [M. Poilievre] s’inspire de ce que fait Donald Trump aux États-Unis. »

Le Parti conservateur du Canada ne dément pas qu’il a maintenant dans sa ligne de mire l’aspirant chef libéral Mark Carney, afin de souligner ses ressemblances avec le premier ministre sortant, Justin Trudeau. « Mark Carney tente de réécrire l’histoire pour convaincre les Canadiens qu’il n’est pas responsable des politiques que lui et Justin Trudeau ont imposées aux Canadiens et qui leur ont causé tant de malheurs au cours des neuf dernières années », écrit le lieutenant politique pour le Québec, Pierre Paul-Hus, dans une longue déclaration.

Les vidéos de la chaîne de Pierre Poilievre ont entièrement ignoré les trois autres candidats à la succession de Justin Trudeau : la leader libérale en Chambre Karina Gould et les ex-députés Frank Baylis et Ruby Dhalla. Le nouveau chef libéral sera choisi le 9 mars.

Le Devoir a recueilli les données de 237 vidéos publiées sur la page YouTube de Pierre Poilievre durant 100 jours, entre le 5 novembre 2024 et le 13 février 2025, et a analysé leur contenu à l’aide de l’outil d’intelligence artificielle Pinpoint de Google. Un peu moins de la moitié (106) de ces vidéos mentionnent le premier ministre Justin Trudeau, 66 vidéos comprenaient une attaque contre l’un ou l’autre des candidats à la direction du PLC : Mark Carney ou Chrystia Freeland, ou les deux.

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