Le revenu de base et l’avenir de la solidarité sociale

«Le revenu de base québécois n’a rien d’universel. C’est en fait une application de ses principes pour un groupe de concitoyens particulièrement touchés par la pauvreté, l’exclusion et pour lesquels un geste audacieux était devenu nécessaire», affirme l'auteur.
Photo: Ryan Remiorz Archives La Presse canadienne «Le revenu de base québécois n’a rien d’universel. C’est en fait une application de ses principes pour un groupe de concitoyens particulièrement touchés par la pauvreté, l’exclusion et pour lesquels un geste audacieux était devenu nécessaire», affirme l'auteur.

Le 1er janvier prochain, une première forme de revenu de base entrera en vigueur au Québec. Ce résultat remonte à une initiative du gouvernement Couillard, qui fit adopter une loi à ce sujet à l’Assemblée nationale le 15 mai 2018. Le déploiement de ce revenu de base prévoyait, dans un premier temps, un rehaussement de 40 % des prestations pour des personnes présentant des contraintes à l’emploi sévères et de longue durée, rehaussement échelonné sur cinq ans. Le but était de permettre à environ 84 000 personnes d’atteindre un revenu les situant au niveau de la mesure du panier de consommation (MPC), l’indice de référence en matière de pauvreté au pays.

L’atteinte de ce seuil était jugée nécessaire puisque la mesure s’inscrivait dans le cadre d’une politique plus large de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale priorisant ce groupe de concitoyens surreprésentés dans nos statistiques sur la pauvreté. Les sommes nécessaires pour y arriver étaient importantes, mais le gouvernement de l’époque s’était assuré de leur disponibilité future.

Le 1er janvier prochain entrera aussi en vigueur l’ensemble des modalités prévues qui distinguent ce premier revenu de base québécois d’un programme traditionnel de solidarité sociale se limitant à être plus généreux. Ces modalités, il faut le dire, ne sont encore que partiellement réalisées dans les dernières dispositions réglementaires adoptées par le gouvernement Legault. Mais leur introduction, même imparfaite, demeure un pas immense qu’il faut savoir apprécier parce qu’elles préfigurent, du moins c’est à espérer, l’avenir de la solidarité sociale.

Tout d’abord, le programme sera (partiellement) individualisé. Cela fait entre autres en sorte que l’on ne pénalisera plus autant les ayants droit qui font le choix de vivre avec une autre personne disposant d’un revenu autonome. L’individualisation de la fiscalité et des transferts est devenue moralement nécessaire à une époque comme la nôtre où la mobilité conjugale s’est accrue et où l’État n’a pas à présupposer et encore moins à déterminer la nature des arrangements économiques entre des cohabitants, couples, amis ou partenaires. Dans l’avenir, personne ne devrait être pénalisé (ou aidé) par l’État parce qu’il fait ce choix très personnel.

Ensuite, le revenu de base sera (partiellement) cumulable, il ne pénalisera plus autant les ayants droit en mesure d’ajouter un revenu de travail à leur prestation. Cette disposition constitue une condition sine qua non pour mettre fin au phénomène de trappe de la pauvreté qui caractérise, entre autres, les programmes traditionnels de sécurité du revenu et le dilemme dans lesquels ils nous placent alors qu’accorder plus à des bénéficiaires revient à courir le risque de les enfoncer davantage dans l’inactivité. Personne ne devrait être pénalisé s’il s’active pour améliorer son sort.

Finalement, ce revenu de base n’obligera pas les ayants droit à s’appauvrir davantage pour en bénéficier. Leur patrimoine personnel (maison et avoirs) sera partiellement mais clairement mieux protégé qu’auparavant. Ce dernier élément nous éloigne encore plus d’un mécanisme de dernier recours puisqu’il permet d’intervenir en amont de l’appauvrissement excessif plutôt que de le nécessiter comme le font normalement nos programmes de dernier recours. Il est contre-productif d’avoir à trop s’appauvrir avant de bénéficier d’une aide de l’État.

Je le rappelle, ces principes sont encore imparfaitement réalisés dans la mouture actuelle du revenu de base québécois. Les représentations ne manqueront pas au cours des prochaines années pour souligner des incohérences et, surtout, pour élargir ses avantages à d’autres groupes. Il nous faut donc déjà penser à la prochaine étape en gardant bien à l’esprit ces trois principes : l’individualisation des transferts et de la fiscalité des particuliers, le cumul raisonnable des revenus et la protection tout aussi raisonnable du patrimoine acquis. Ils forment le coeur d’une solidarité du XXIe siècle efficace et équitable.

Le revenu de base québécois n’a rien d’universel. C’est en fait une application de ses principes pour un groupe de concitoyens particulièrement touchés par la pauvreté, l’exclusion et pour lesquels un geste audacieux était devenu nécessaire. Il doit cependant ouvrir la voie à une vision renouvelée de la solidarité sociale, qui sera plus inclusive, plus transparente et, pour ces raisons, plus universelle. Un véritable socle pour tous plutôt qu’un filet de sécurité sociale qui a eu trop souvent pour effet dans le passé de piéger plutôt qu’élever.

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