Pas de «traîtres» au Parlement, conclut la commissaire Marie-Josée Hogue

La juge Marie-Josée Hogue, qui préside la Commission sur l’ingérence étrangère, lors du dévoilement du rapport final de son enquête, à Ottawa, le mardi 28 janvier 2025
Photo: Justin Tang La Presse canadienne La juge Marie-Josée Hogue, qui préside la Commission sur l’ingérence étrangère, lors du dévoilement du rapport final de son enquête, à Ottawa, le mardi 28 janvier 2025

Il n’existe aucune preuve que des élus du gouvernement fédéral auraient comploté contre le Canada avec des États étrangers, tranche la juge Marie-Josée Hogue, qui préside la commission sur l’ingérence étrangère depuis un an et demi.

Dans son volumineux rapport final dévoilé mardi, la commissaire dément les allégations selon lesquelles des députés canadiens auraient « aidé sciemment » des acteurs étatiques étrangers en leur fournissant des renseignements confidentiels. C’est ce qui avait été révélé dans un rapport caviardé du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR) le 3 juin dernier.

La juge Hogue conclut que la situation n’est toutefois « pas aussi tranchée ni aussi extrême » que ce que le rapport-choc a laissé croire et que les informations rapportées comportaient certaines inexactitudes.

« Je n’ai pas vu de preuve permettant de conclure qu’il y a actuellement, au Parlement, ce que certaines personnes ont qualifié de “traîtres”, a-t-elle déclaré dans une allocution mardi à Ottawa.

« Quoique la preuve révèle certains comportements inquiétants, elle ne démontre pas que des députés complotent avec des États étrangers à l’encontre des intérêts du Canada », a-t-elle clarifié devant la presse parlementaire.

Le rapport du CPSNR avait provoqué de vives réactions chez les oppositions l’été dernier. Les conservateurs pressaient le gouvernement pour qu’il révèle l’identité des parlementaires visés, tandis que le chef néo-démocrate Jagmeet Singh avait qualifié les personnes impliquées comme des « traîtres au pays ».

Le mandat de la commission Hogue avait alors été élargi pour qu’elle puisse se pencher sur les allégations.

Dans son rapport de 140 pages, la juge explique avoir pris connaissance de quelques tentatives d’États étrangers de « s’attirer les faveurs » de parlementaires, mais que le phénomène demeure « marginal et largement inefficace ». Aucun règlement, loi fédérale ou politique n’aurait été influencé en raison de l’ingérence étrangère, assure-t-elle.

Elle dément également que le rapport classifié du CPSNR contenait une liste de noms de parlementaires qui auraient agi dans l’intérêt d’un État étranger.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui a eu accès à la version classifiée du rapport l’été dernier, a accueilli le rapport de la juge Hogue avec une certaine réserve. Bien qu’il n’existe pas de traîtres au sens criminel du terme, il y aurait bel et bien des « idiots utiles » sous l’influence étrangère au sein du gouvernement, a-t-il avancé lors d’un point de presse mardi après-midi.

Des élections imminentes

À la lumière de ses travaux, la commissaire Hogue a formulé une longue liste de 51 recommandations au gouvernement Trudeau. Ces recommandations surviennent d’ailleurs en pleine course à la direction du Parti libéral du Canada (PLC), et possiblement à quelques semaines seulement du déclenchement des prochaines élections fédérales.

Parmi ses recommandations, elle recommande aux partis politiques de restreindre le droit de vote aux assemblées d’investiture et aux courses à la direction aux citoyens canadiens et aux résidents permanents. Elle recommande également que les partis conservent les informations sur le statut de citoyenneté des membres et des participants aux courses et aux assemblées pendant une période minimale.

Le Parti libéral a récemment dû resserrer les règles de sa course à la direction en raison des risques d’ingérence étrangère. Plusieurs avaient soulevé des inquiétudes quant au fait que toute personne ayant une adresse canadienne et étant âgée de plus de 14 ans pourrait potentiellement voter. Le parti a ensuite restreint l’inscription aux citoyens canadiens, aux résidents permanents et aux Autochtones.

Les dirigeants des partis politiques devraient aussi obtenir une autorisation de sécurité de niveau « très secret » le plus tôt possible après leur accession à la direction, recommande la Commission. Cette cote de sécurité est nécessaire pour consulter les documents classifiés sur l’ingérence étrangère. Le chef conservateur Pierre Poilievre est le seul, à l’heure actuelle, qui refuse d’obtenir sa cote.

Le gouvernement a, pour sa part, déclaré qu’il accueille favorablement les conclusions de la juge Hogue et qu’il examinera les recommandations formulées dans son rapport final.

Un mauvais communicateur

Le gouvernement fédéral « a été, globalement, un mauvais communicateur » en ce qui a trait à l’ingérence étrangère, a conclu la juge Hogue dans son rapport.

« Les moyens utilisés pour communiquer des informations à certains décideurs, incluant des élus, se sont révélés imparfaits. Très imparfaits, même, puisque certains rapports ne se sont simplement jamais rendus là où ils devaient se rendre », peut-on lire dans le rapport.

Les audiences publiques de la commission ont mis en évidence plusieurs cas où des informations essentielles se sont perdues en cours de route. L’hiver dernier, le premier ministre Justin Trudeau admettait ne jamais avoir pris connaissance d’une note préparée en 2019 par le directeur du Service canadien de Renseignement et de sécurité (SCRS) de l’époque, David Vigneault. Le premier ministre s’était alors défendu de ne pas être en mesure de consulter toutes les notes de breffage qui lui sont adressées et que la meilleure façon de lui transmettre une information était de le rencontrer en personne.

La Commission recommande ainsi au SCRS de mettre au point des mécanismes pour « signaler clairement » les rapports qu’il considère comme pertinents ou urgents pour certains ou tous les décideurs de haut rang. Le SCRS devrait également demander la tenue d’un breffage oral lorsqu’il estime que le renseignement nécessite une attention sur le plan politique.

Le rapport final conclut les travaux de la commission qui ont commencé en septembre 2023.

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