Un pas de plus vers une Maison de la chanson dans la bibliothèque Saint-Sulpice

Cette fois semble la bonne. Après des années de tergiversation, le projet de réhabilitation de la bibliothèque Saint-Sulpice, véritable trésor architectural de la métropole, vient de franchir une nouvelle étape. Québec verse 2,6 millions de dollars pour élaborer la programmation de la future Maison de la chanson et de la musique du Québec, dont l’ouverture est repoussée d’un an, en 2027.
Le magnifique bâtiment de style Beaux-Arts, situé rue Saint-Denis, a accueilli vendredi le gratin politique et culturel de Montréal pour l’annonce de cette nouvelle attendue. « Je rêve d’un lieu de convergence qui deviendra le quartier général de la chanson au Québec », a lancé Monique Giroux, idéatrice de ce projet de Maison de la chanson, devant un des immenses vitraux qui ornent les murs de l’édifice.
L’animatrice à la radio de Radio-Canada, encyclopédie vivante de la chanson francophone, travaille depuis plus de 20 ans à concrétiser ce qui est devenu le rêve de sa vie. Avec l’illustre parolier Luc Plamondon, elle a fondé l’organisme à but non lucratif Écho sonore, qui gère ce chantier aussi complexe qu’ambitieux.
La gorge nouée par l’émotion, Monique Giroux a raconté la vision du lieu qu’elle compte mettre en place avec son équipe. La Maison de la chanson logera un studio de création, une salle pouvant offrir des concerts, des lancements d’albums, des visionnements de films, des classes de maître, des entrevues. Elle imagine des expositions permanentes et temporaires célébrant les artistes et les moments marquants de la chanson québécoise, ou encore une expo consacrée aux personnages célèbres mis en musique — Jack Monoloy, Belzébuth, Bobépine…

Comme on est en 2024, un parcours « immersif » — concept incontournable du moment — prendra vie grâce à la technologie multimédia. Des ateliers de création et des visites d’élèves sont aussi au menu, notamment pour prendre connaissance des riches archives sonores de BAnQ, qui seront transférées dans ce lieu unique au monde, selon ses concepteurs.
Une odeur de « renfermé »
La facture de la réhabilitation de l’édifice est évaluée par le ministère de la Culture à 48,5 millions de dollars, mais « ça se peut qu’il y ait des dépassements de coûts », prévient la mairesse de Montréal, Valérie Plante. La préservation du patrimoine architectural est « plus compliquée » que de construire du neuf, mais les ordres de gouvernement ont le devoir de sauver les « trésors nationaux » comme cet édifice du Quartier latin — un secteur qui a grandement besoin d’amour, convient la mairesse.
Une odeur de « renfermé », d’humidité, accueille les visiteurs dans le hall d’entrée de l’édifice construit en 1914 et déserté depuis presque deux décennies. L’immense salle de lecture de l’ancienne bibliothèque, où les intellectuels et écrivains du siècle dernier avaient leurs habitudes — dont Réjean Ducharme, Lionel Groulx et Alain Grandbois — paraît bien vide, dépourvue des grandes tables qui garnissaient le plancher de marbre.

Des travaux de stabilisation de la structure du bâtiment, du drainage de l’eau de pluie ainsi qu’au système de ventilation, de climatisation et de chauffage, ont été exécutés dans les derniers mois, confirme BAnQ, propriétaire de l’édifice et partenaire de la future Maison de la chanson et de la musique du Québec.
Au sous-sol, la salle de spectacle de 400 sièges a besoin d’une bonne cure de rajeunissement, comme le reste du bâtiment patrimonial.
Incertitude en culture
À l’arrière du bâtiment, une structure autoportante d’une hauteur de quatre étages, conçue en acier, en marbre et en béton, a déjà recueilli pas moins de 200 000 livres, précise Benoit Migneault, bibliothécaire et adjoint au directeur du secrétariat général de BAnQ. Ceux-ci ont été transférés à une rue de là, à la Grande Bibliothèque, qui a ouvert ses portes en 2005. La future Maison de la chanson trouvera une nouvelle vocation à cette structure hors de l’ordinaire, témoin de l’époque pas si lointaine où le numérique ne faisait pas partie de nos vies.

Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, est convaincu que la Maison de la chanson deviendra « un lieu dynamique, vivant, où il y aura de la création ». Ce ne sera pas un musée, mais cette institution témoignera de la lutte pour l’identité et la culture québécoises : « La musique et la chanson sont aussi la trame sonore de notre histoire », a-t-il dit.
L’artiste Émile Proulx-Cloutier, présent à l’annonce de vendredi, voit d’un très bon oeil la naissance d’une Maison de la chanson, tandis qu’un autre monument culturel montréalais, le cabaret La Tulipe, est menacé par un jugement de la Cour d’appel interdisant toute forme de bruit susceptible de déranger les voisins.
« Notre chanson a besoin d’amour. Les lieux culturels sont fragilisés », a-t-il dit.