Parce que la violence conjugale ne s’arrête pas à la porte du tribunal

Parce que la violence conjugale ne s’arrête pas à la porte des tribunaux, la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF) a lancé une grande campagne de sensibilisation à la « violence judiciaire ». Elle espère que si les intervenants du système de justice savent de quoi il en retourne, ils pourront la faire cesser.
À ceux qui croient que la violence cesse après la séparation du couple, Gabrielle dit : « Ce n’est pas vrai. »
La femme, qui a accepté de raconter son expérience vendredi lors d’un webinaire organisé par la FMHF, rapporte avoir subi huit ans de « violence judiciaire ».
Le phénomène est encore méconnu du grand public, estime la FMHF. C’est pour cela qu’en plus de sa campagne de sensibilisation — qui est appuyée par des capsules vidéo et des dépliants d’information —, elle a aussi organisé un webinaire vendredi sur le sujet.
La violence judiciaire consiste en l’utilisation à mauvais escient de tout type de procédures juridiques contre une victime dans le but de maintenir le contrôle sur elle. On parle notamment d’intenter des procédures à répétition, devant divers tribunaux, de faire des plaintes à la DPJ dans le but de nuire, de déposer ses procédures en retard ou encore des documents incomplets pour retarder le processus. Le conjoint abusif peut maintenir le contrôle en forçant l’autre à se présenter à la Cour et ainsi à se retrouver en sa présence physique. Parfois, l’avocat d’un conjoint est englouti sous les courriels incessants de l’autre — ce qui ajoute à la facture et est épuisant financièrement.
Gabrielle a rapporté d’autres stratégies de violence judiciaire qu’elle a vécues : son ex-conjoint a fait des menaces à son avocate et a même porté plainte contre elle — dans le but de la forcer à abandonner.
Il y a une reproduction du rapport de force au sein du tribunal, résume Me Marilyn Coupienne, conseillère juridique à la FMHF.
L’impact psychologique sur les victimes est important, a ajouté une autre panéliste, Rebecca Denney, juriste et titulaire d’une maîtrise en criminologie et droits des victimes. Elles ont peur, vivent du stress et de l’anxiété et craignent de ne pas être crues. Elles deviennent « mentalement épuisées », dit la juriste, sans oublier qu’elles s’endettent juste pour se défendre ou faire valoir leurs droits.
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Gabrielle a d’ailleurs dû cesser de travailler pendant un certain temps, car elle devait se rendre à répétition devant un tribunal ou un autre : au criminel, en chambre de la famille ou devant le tribunal de la jeunesse, car elle a un enfant avec son ex-conjoint. À une époque, elle avait une conférence de gestion par semaine, dans un seul dossier.
Mme Denney déplore aussi que les avocats de l’aide juridique refusent souvent les dossiers qualifiés de « complexes », car la compensation financière est trop faible pour le temps passé sur ce genre de cas, qui impliquent souvent plusieurs dossiers devant divers tribunaux.
Comme pistes de solution, les panélistes proposent que les juges suivent une formation plus poussée afin de pouvoir déceler la violence judiciaire et que les policiers cessent de prendre le non-respect des conditions à la légère. Quand Gabrielle a porté plainte contre son ex-conjoint, qui n’avait pas respecté ses conditions, « un policier m’a dit qu’il avait des dossiers plus importants que le mien ».
La femme souhaite aussi que la justice cesse d’agir en vase clos, que le système criminel et le système de droit familial commencent à se parler. Elle explique qu’un juge de la Cour criminelle avait interdit à son ex-conjoint de la contacter sauf pour l’exercice des droits d’accès. « Il s’est alors servi de l’enfant pour m’atteindre », a-t-elle déclaré.
La violence judiciaire a toutefois été récemment codifiée dans le Code de procédure civile, qui donne aux juges le pouvoir d’octroyer des dommages dans le cas de procédures abusives. Mais l’article est limité au droit de la famille, précise Me Coupienne, et il est encore trop tôt pour dire combien la mesure sera efficace.
Elisabeth Viens Brouillard, de la FMHF, rappelle que les maisons d’hébergement offrent de l’aide, du soutien et de l’information — notamment sur la violence judiciaire — à toutes les femmes, et non pas uniquement à celles qui y sont hébergées.
Le nerf de la guerre, c’est de faire connaître la violence judiciaire, a conclu Me Coupienne, « pour que la justice soit un outil de protection, et non de contrôle ».
Besoin d’aide ?
Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler la ligne d’urgence de SOS violence conjugale au 1 800 363-9010.
Les hommes ayant des comportements violents peuvent contacter le réseau À coeur d’homme, qui soutient la prévention des violences conjugales et familiales, au 1 877 660-7799.