S’outiller pour affronter le danger
Un adolescent de Québec a fait une surdose (heureusement non mortelle) après avoir ingéré de faux comprimés de Percocet 30 mg. Ce qu’il croyait être du Perc 30, un analgésique narcotique destiné à soulager une douleur modérée à sévère, contenait en réalité du protonitazèpyne, un opioïde de synthèse environ 25 fois plus puissant que le fentanyl et présentant un fort risque de surdose. L’ado aura eu l’immense chance de ne pas avoir consommé seul, ce qui fait que les secours ont été appelés. À l’hôpital, on a fait ce qu’il fallait pour qu’il revienne à lui.
Ce cas a été relaté aux médias cette semaine par la Direction de santé publique de la Capitale-Nationale. Les autorités sanitaires s’inquiètent d’un phénomène auquel les jeunes sont particulièrement à risque : la combinaison fatale de drogues contaminées par des dérivés très puissants et leur accès facile, dans la rue et sur les réseaux sociaux. C’est aussi l’une des conclusions de la vaste enquête menée par notre journaliste Jessica Nadeau sur la présence de drogues de plus en plus toxiques dans le réseau scolaire. Pour des jeunes avides de sensations fortes et habités par un sentiment d’invincibilité, cet accès facile à des drogues aussi toxiques peut être fatal.
Depuis 2013, au moins neuf jeunes de moins de 18 ans sont décédés des suites d’une intoxication aux drogues, dont le cas très médiatisé et tragique du jeune Mathis, 15 ans. Son père, Christian Boivin, a choisi de raconter leur histoire justement parce qu’elle avait tout pour ne pas se terminer ainsi. Le dialogue sur la consommation de drogue était très ouvert chez les Boivin, une des clés de prévention les plus cruciales pour éviter les drames. Mais Mathis aurait apparemment ingéré un faux comprimé, d’oxycodone dans son cas. C’était plutôt de l’isotonitazène, un opioïde synthétique plus puissant que le fentanyl, et les symptômes qu’il a ressentis ne l’ont pas alerté. Il était très endormi, il s’est donc couché, après s’être brossé les dents. Mais il ne s’est plus réveillé.
La quantité de drogues saisie par la Sûreté du Québec dans les écoles du Québec depuis cinq ans est saisissante, révèle l’enquête du Devoir. 28 kilos de cannabis, des champignons magiques, de la cocaïne, du speed, des médicaments d’ordonnance ; des opioïdes, comme de la codéine, de la morphine, du Dilaudid, de l’oxycodone, du fentanyl ; et aussi, quoiqu’en moindre quantité, des roches de crack, du crystal meth, des stéroïdes et des précurseurs chimiques. De quoi donner le tournis à tout parent s’imaginant encore que, comme dans son temps, alcool, cannabis et cocaïne demeurent les seules substances disponibles pour un jeune à la recherche d’un « trip ».
Les jeunes interrogés par Le Devoir ont offert une belle transparence : de la drogue ? Mais il y en a partout à l’école et on peut littéralement la consommer là où on le souhaite ! Le populaire wax pen — une cigarette électronique contenant un liquide hautement concentré en THC, un cannabinoïde psychoactif contenu dans le cannabis — se glisse bien dans la manche : un geste de la main vers le visage, une petite bouffée, et hop ! La drogue est consommée en pleine classe, ni vu ni connu. Des directions d’école, sans doute beaucoup trop naïves, affirment n’avoir rien constaté d’inquiétant au sein de l’école. Ce n’est que pure illusion. D’autres, mieux outillées et forcées par les événements à devenir lucides, ont dû affronter le drame d’une surdose en pleine classe : les effets d’un comprimé à forte toxicité consommé sur l’heure du midi se sont fait ressentir pendant le premier cours de l’après-midi.
Les autorités sanitaires confirment une tendance à la hausse : chaque année, entre 60 et 100 jeunes de moins de 19 ans aboutissent à l’urgence pour une intoxication potentiellement liée aux opioïdes, calcule l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Les experts liés à ce dossier résument la situation en parlant d’une combinaison parfaite pour mener au danger : des jeunes à la recherche de sensations fortes, des drogues faciles à commander, même sur les réseaux sociaux et livrées sur le pas de la porte, des comprimés de contrefaçon imitant à la perfection les vrais spécimens, mais contenant des dérivés hyperpuissants. Ne sachant pas ce qu’ils consomment, et peut-être moins outillés que des adultes pour remettre en question l’authenticité des drogues, les mineurs sont plus en danger de surdose.
Le Québec devrait-il être en état d’alerte ? Pas encore, disent les experts, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une crise sanitaire comme celle qui touche la Colombie-Britannique. Tous recommandent aux parents de discuter ouvertement avec leurs enfants de cette question cruciale, et plus particulièrement des matières circulant sur le marché noir. Ils suggèrent de vérifier ce qu’il y a dans les colis livrés pour leur enfant à la maison. Dans les écoles, la prévention demeure une avenue qui permet d’outiller les jeunes, mais il ne faut pas jouer à l’autruche et imaginer son milieu scolaire exempt de dangers. La circulation et la disponibilité aisée des drogues contaminées par le fentanyl et ses dérivés demeurent toutefois la principale menace à la sécurité des jeunes. De ce côté, le défi est titanesque.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.