Une nouvelle carte des valeurs politiques

Déjà 25 ans depuis l’an 2000. L’équipe éditoriale du Devoir vous propose un regard à la fois caustique et porteur d’espoir, dans la mesure du possible, sur les grands événements et tendances qui ont façonné ce premier quart de siècle. Aujourd’hui : l’axe politique québécois.

Les astres ont beau laisser présager le possible épilogue du mandat de la Coalition avenir Québec, ainsi que celui du chapitre d’une nouvelle voie autonomiste, l’historique ligne de fracture redessinée n’est pas pour autant sur le point de s’effacer. La question nationale se pose autrement dans le Québec d’aujourd’hui. Non plus, d’abord et avant tout, sous le prisme de son statut constitutionnel, mais désormais sous celui de l’affirmation de l’identité nationale.

Une évolution profonde du débat politique et social, qui s’est recentré autour d’un clivage de valeurs, observe Éric Bélanger, politologue à l’Université McGill et coauteur d’un livre sur ce nouvel axe électoral. « La dépolitisation du projet de souveraineté en a graduellement fait un déterminant moins structurant du comportement électoral qu’auparavant », écrit-il, avec trois collègues professeurs, dans Le nouvel électeur québécois.

Les lendemains de la seconde défaite référendaire n’ont pourtant pas été sans provocation fédérale, bien au contraire. À la Loi sur la clarté référendaire de l’an 2000 a succédé une première décennie d’un gouvernement conservateur de Stephen Harper aux antipodes des valeurs sociales et environnementales québécoises, suivie d’une autre d’un gouvernement libéral de Justin Trudeau abonné à l’ingérence dans les champs de compétence du Québec. De longues années au cours desquelles le poids démographique et politique du Québec n’a, de surcroît, cessé de reculer.

Nonobstant, l’appui à la souveraineté, lui, n’a presque pas bougé. Hormis un bref et timide soubresaut, pour atteindre 46 % autour de l’arrivée du gouvernement conservateur au fédéral, l’enthousiasme pour l’indépendance du Québec oscille depuis autour du 35 %. Le refus de l’option n’a quant à lui jamais cédé sous le seuil du 50 % depuis 15 ans.

Le deuxième référendum paraît bien loin dans l’esprit du tiers de la population québécoise, qui n’était même pas née en 1995. Et qui, de son vivant (du moins jusqu’aux derniers mois), n’a pas été témoin d’un nouveau souffle du mouvement, les forces souverainistes ayant été conscientes qu’une troisième défaite aurait couru le risque d’être fatale. La tâche de convaincre une majorité chez cette jeune génération demeure entière.

Au fil des élections, la question nationale est peu à peu passée au second plan. Le temps du bipartisme, entre l’option souverainiste et l’autre fédéraliste, s’est ainsi effacé. À tel point qu’une troisième voie autonomiste prônant désormais une approche de petits gains, même si certains s’avéraient bien timides, s’est frayé un chemin dans l’esprit des Québécois jusqu’à être portée aux commandes de l’État.

La refonte s’est opérée sur la scène fédérale également, la majorité des circonscriptions du Québec y étant représentée successivement depuis 13 ans par un parti fédéraliste. Si éphémère fut la vague orange de Jack Layton, c’est le Parti libéral du Canada, et non pas le Bloc québécois, qui a pris le relais.

Les tenants du fédéralisme ont pourtant fait bien peu pour obtenir cette bonne grâce. Une simple reconnaissance symbolique de la nation québécoise, accompagnée tout au plus d’un assentiment de sa spécificité linguistique francophone, mais surtout d’une succession d’empiétements au mieux sans trop de conditions.

La carte électorale s’apprête à changer au fédéral, à tout le moins, puis au Québec en second lieu, vraisemblablement. Les préoccupations des électeurs se sont néanmoins transformées au fil du temps.

Ce nouveau clivage idéologique s’articule désormais autour de valeurs économiques (avec la lente naissance d’un Parti conservateur québécois), mais aussi de valeurs sociales et identitaires. L’axe n’est pas que gauche-droite, élargi par l’éclatement des préoccupations partisanes citoyennes.

Ce réalignement n’est cependant pas sans risque de dérives. Le discours politique en a déjà servi quelques exemples désolants, le prisme identitaire étant récupéré à de pernicieuses fins électorales. Ce faisant, ce nouvel alignement fragilise le tissu social et politique de la nation québécoise qu’il prétend consolider, met d’ailleurs en garde le professeur de science politique à l’UQAM, Alain-G. Gagnon.

Or, un tel effritement menace de miner cette inlassable quête d’affirmation nationale, qui se doit au contraire de rallier plutôt que de diviser.

La Coalition avenir Québec est en difficulté dans les sondages. Le Parti québécois, bien qu’il ait le vent dans les voiles, compte un quart de ses électeurs qui ne tiennent pas au référendum promis dans un premier mandat. Qu’il reste ou qu’il revienne, respectivement, au gouvernement dans 22 mois, l’un comme l’autre se doit d’ici là, pour le bien de la nation québécoise, d’être rassembleur et responsable.

Le Québec doit se tenir droit et fort pour survivre dans l’océan d’une langue et d’une culture étrangères. Mais pas en cédant à la polarisation qui déferle ailleurs.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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