Nouveau contrat de 6,8 millions pour une firme au «rendement insatisfaisant» à Montréal

Une entreprise de construction au « rendement insatisfaisant » vient d’obtenir un nouveau contrat de 6,8 millions de dollars pour un chantier de voirie dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, dans le nord de Montréal.
Le comité exécutif de la Ville de Montréal vient d’autoriser ce contrat à la firme Duroking Construction, de Mirabel, pour le remplacement de conduites souterraines et la réfection de la chaussée sur le boulevard Gouin, entre la rue Meunier et le boulevard Saint-Laurent. Ces infrastructures d’égout et d’aqueduc plus que centenaires (elles ont été installées en 1909 et en 1923), en brique, en grès et en fonte grise, ont dépassé leur durée de vie. Des entrées d’eau en plomb doivent aussi être remplacées. Les travaux doivent s’échelonner entre les mois de mai 2025 et septembre 2026.
Il s’agit d’un troisième contrat accordé par la Ville à cette entreprise depuis qu’elle a été placée sur la liste des fournisseurs à « rendement insatisfaisant » le 18 décembre dernier. Les deux autres contrats, attribués le 20 janvier 2025, totalisaient plus de 100 millions de dollars pour des travaux de voirie à Montréal-Nord et à Pointe-aux-Trembles.
Un chantier « interminable »
L’opposition officielle à l’Hôtel de Ville déplore le maintien des relations d’affaires avec cette firme montrée du doigt pour le retard de 495 jours dans un chantier de voirie, rue Grand Trunk, dans l’arrondissement du Sud-Ouest. Ce chantier a fait vivre un enfer aux résidents qui ont subi la fermeture de la rue, le bruit et la poussière entre les années 2021 et 2024.
C’est pour cette raison que Duroking Construction a été placée il y a deux mois sur la liste des firmes à « rendement insatisfaisant » de la Ville.
« Malheureusement, l’administration de Projet Montréal continue de récompenser des entreprises qui ne respectent pas les règles et qui gèrent mal leurs projets, comme ce fut le cas avec l’interminable chantier de réhabilitation d’une conduite d’aqueduc dans Pointe-Saint-Charles. Ensemble Montréal s’inquiète pour les citoyens qui subiront les impacts de la gestion défaillante de l’administration Plante-Rabouin au quotidien, alors que notre formation s’engage à prendre au sérieux la gestion contractuelle et celles des chantiers », a réagi par écrit Aref Salem, chef de l’opposition officielle.
Écart de prix intrigant
L’attribution de ces contrats à la firme Duroking est justifiée pour des raisons légales, indiquent des documents du comité exécutif de la Ville. Les soumissions pour ce contrat — et pour les deux autres autorisés le mois dernier — ont été ouvertes avant que l’entreprise ait été placée sur la liste des fournisseurs à rendement insatisfaisant.
Or, l’article 573 de la Loi sur les cités et villes est clair : une municipalité peut refuser la soumission d’un fournisseur « qui, au cours des deux dernières années précédant la date d’ouverture des soumissions, a fait l’objet d’une évaluation de rendement insatisfaisant ».
La Ville devait ainsi donner le feu vert à l’entreprise, dont la soumission était 28,4 % plus avantageuse que celle déposée par son plus proche concurrent. La proposition de Duroking est même 15,7 % moins chère que le coût des travaux estimé par la Ville.
Intrigués par ces écarts, les fonctionnaires de la Ville notent qu’ils résultent notamment « d’une concurrence agressive entre les entrepreneurs afin de remplir leur carnet de commandes ». Le nombre élevé de soumissionnaires — ils étaient huit — « démontre [aussi] l’intérêt des entrepreneurs pour ce genre de projet et peut expliquer l’écart », précise la Ville.
Utilisation de sol excavé
Les professionnels de la Ville concluent aussi que l’entreprise de construction envisageait de réutiliser certains sols d’excavation pour abaisser les coûts. « Or, l’utilisation de sol excavé n’est pas autorisée pour ce projet [en raison notamment d’une possible contamination]. Les seules exceptions concernent les matériaux existants lors des travaux d’excavation en arrière-trottoirs, dans les zones engazonnées et de plantation, ainsi que les déblais s’apparentant à de la pierre concassée », indique le sommaire décisionnel de la Ville.
« Pour garantir que Duroking Construction respectera les termes du contrat, l’équipe de réalisation des travaux sera informée que certains éléments portent à croire que l’entrepreneur pourrait vouloir réutiliser les sols afin qu’elle y prête une attention particulière », précise le document.
Au moment où ces lignes étaient écrites, la firme Duroking n’avait pas répondu aux questions du Devoir au sujet de ce contrat.
La Ville compte assurer un suivi serré du chantier pour éviter une répétition des retards qui ont valu à Duroking d’être placée sur la liste des firmes à rendement insatisfaisant. Cette fois, la nature des travaux est différente, notent les représentants municipaux : ce contrat prévoit des travaux de reconstruction d’égout et d’aqueduc, alors que pour celui de la rue Grand Trunk, « il s’agissait de la réhabilitation d’aqueduc par chemisage, dont la technique était plus récente et moins courante ».