L’Orchestre Métropolitain réduit sa programmation

L'Orchestre Métropolitain en concert avec Yannick Nézet-Séguin et la soprano Angel Blue, en juin 2023
Photo: Légaré Photographe / OM L'Orchestre Métropolitain en concert avec Yannick Nézet-Séguin et la soprano Angel Blue, en juin 2023

L’Orchestre Métropolitain (OM) a annoncé mardi l’annulation de deux programmes de sa présente saison, « Amour fatal », en mars, et « Fiesta latine », en mai, en raison « des défis importants que traverse actuellement l’ensemble du milieu culturel ». Il s’agit pour l’heure, dans le milieu musical classique, du plus symbolique choc postpandémique.

« Nous subissons un effet ciseau », dit au Devoir Fabienne Voisin, cheffe de la direction de l’OM. « Cela fait deux saisons que l’orchestre accumule un déficit, un peu comme tous nos concitoyens de l’écosystème culturel. » Madame Voisin voit trois raisons à ce déficit : « Un coût de production qui s’est envolé — certains disent 30 %, et on peut s’accorder sur ce pourcentage —, le public pour lequel l’inflation aménage différemment les choix et une stagnation des subventions. »

Fabienne Voisin dit travailler avec le ministère de la Culture et lui reconnaît le mérite de faire « le maximum pour défendre le milieu et l’OM, qui accumule un retard de financement par rapport aux autres formations symphoniques ». Mais elle a choisi « de prendre des décisions pour mettre l’orchestre dans le chemin de la pérennité et éviter de se retrouver à ne plus avoir de leviers pour agir ».

Centre névralgique

Les concerts supprimés sont donc « Amour fatal », dirigé par Nicolas Ellis, qui devait être donné le 13 mars à Saint-Léonard et le 14 mars à la Maison symphonique, avec notamment la création du Concerto pour basson d’Airat Ichmouratov et Bacchus et Ariane de Roussel, et « Fiesta latine », le 16 mai à la Maison symphonique, avec la cheffe Joana Carneiro et la pianiste Gabriela Montero. Les détenteurs de billets recevront un remboursement dans les dix jours ouvrables suivant la présente annonce.

Nombre d’institutions s’étaient relativement solidifiées pendant la pandémie avec des aides, des subventions maintenues, face à une diminution majeure des dépenses de production. Mais ce bas de laine n’a pas tenu longtemps. « Les aides ont masqué une réalité qui était plus crue que la COVID. L’inflation est venue sévir cette saison plus durement que la saison passée », analyse Fabienne Voisin.

Contrairement à d’autres cas dans le milieu, lentes érosions d’institutions ou déraillements stratégiques, les causes de cette surprenante situation à l’OM sont certes multifactorielles, mais on ne peut contredire Fabienne Voisin lorsqu’elle parle de « maîtrise d’une croissance, si on veut viser l’équilibre budgétaire ». Une institution culturelle ne peut s’enferrer dans un effet de levier, c’est-à-dire creuser un trou pour se développer.

L’OM avait la possibilité d’annuler ces deux semaines, car, en matière d’activité, l’orchestre était au-dessus du nombre de semaines contractuellement dues aux musiciens. Mais Fabienne Voisin le reconnaît : « Dès lors que nous enlevons deux concerts, l’orchestre étant un centre d’emploi pour l’écosystème, ça fragilise tout le monde. » Pour les musiciens, le coup est dur, car le centre névralgique de leur activité est désormais touché, alors que la périphérie était déjà atteinte. Par exemple, l’ex-Orchestre symphonique de Longueuil, qui représentait un complément salarial pour plusieurs musiciens de l’OM, n’est plus qu’une ombre. Des instrumentistes de l’OM comptent parmi le tiers des musiciens qui ont jeté l’éponge à la suite de l’arrivée du violoniste Alexandre Da Costa, et, pour les rescapés, le musicien ne fait plus guère recette, au point qu’un concert du désormais « Orchestre philharmonique du Québec », le 1er février, présenté comme « historique », avec rien de moins que le Boléro, a été annulé.

Un signal

« Si l’OM, qui est solide sur ses pattes, en vient à annuler deux concerts, ce n’est pas une décision neutre, qui doit passer inaperçue : c’est un signal important qui montre la fragilité de la culture dans une ville qui brille justement par sa richesse culturelle », dit Fabienne Voisin, qui réfute l’idée d’avoir voulu envoyer un message et ne mentionne que son retour à l’équilibre. « Il n’y a pas que cela : des enregistrements n’auront pas lieu et des concerts gratuits dans des parcs ne se feront pas. Nous ne les avons pas annulés ; nous ne les enclenchons pas. » Pragmatiquement, la saison 2024-2025 passe de 36 à 33 concerts et la programmation 2025-2026 partira sur une base de 30 concerts.

La directrice, qui salue « l’énorme attention de Yannick Nézet-Séguin vis-à-vis de ses musiciens, son courage et sa compréhension totale de l’économie, de l’écosystème et de la place d’un orchestre dans la société aujourd’hui », n’a pas voulu remettre en cause la tournée européenne de juin : « Le rayonnement international des talents d’ici pousse les philanthropes à soutenir cette démarche. Il en va de même pour le concert au pied du mont Royal : c’est une source de ralliement de nouveaux philanthropes. »

Fabienne Voisin récuse l’interprétation d’une augmentation de 33 % de soutien à la mission du Conseil des arts et lettres. « Ce n’est pas notre analyse ; nous sommes dotés à 15 % de moins que tous les autres orchestres, y compris les régionaux. Ainsi, les subventions ne couvrent pas les frais de fonctionnement et l’OM réussit à aller chercher de la philanthropie pour combler ce manque. »

L’orchestre a poursuivi de manière constante son activité en arrondissements. « Oui, les arrondissements paient, mais ce n’est même pas 10 % des frais. Nous sommes historiquement soutenus par le Conseil des arts de Montréal en tournée, sans lequel ces concerts seraient impossibles, mais c’est l’OM qui nourrit la majeure partie des besoins financiers pour ces concerts. C’est l’ADN de l’orchestre et on ne peut y renoncer, mais nous cherchons là aussi des philanthropes pour nous aider à maintenir et à déployer cette activité. »

À voir en vidéo