Des municipalités contraintes de prendre en charge des aqueducs privés

Le puits du secteur Guay, situé au coin de la rue Desjardins et du Chemin Miltimore, dessert 23 résidences.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le puits du secteur Guay, situé au coin de la rue Desjardins et du Chemin Miltimore, dessert 23 résidences.

L’eau potable de la plupart des Québécois provient d’aqueducs municipaux ou de puits individuels. Mais il existe encore au Québec plusieurs centaines d’aqueducs privés. Dans plusieurs cas, il s’agit de vestiges d’une époque où des propriétaires fonciers procédaient à du développement immobilier en fournissant eux-mêmes l’approvisionnement en eau. Des décennies plus tard, avec des systèmes d’aqueduc vieillissants, plusieurs municipalités sont contraintes de prendre en charge ces réseaux. Et la facture est importante.

Depuis 2006, les résidents de 23 habitations du secteur Guay de Brigham, en Estrie, doivent faire bouillir leur eau avant de la consommer. C’est que des coliformes ont été détectés occasionnellement dans cette eau, qui provient d’un puits commun, et le ministère de l’Environnement a publié un avis d’ébullition qui n’a jamais été levé.

Mais la situation pourrait changer à compter de l’automne. C’est du moins ce qu’espère cette municipalité rurale de quelque 2350 habitants.

Toute cette histoire a été un long chemin de croix, admet le directeur général de Brigham, Pierre Lefebvre. À l’origine du problème : un aqueduc privé construit dans les années 1970 par un propriétaire qui avait morcelé son terrain pour y faire du développement immobilier. Vingt-trois résidences sont alimentées par cet aqueduc relié à un puits.

En 2006, le propriétaire n’étant plus en mesure d’exploiter ce réseau d’aqueduc, Québec en a transféré la responsabilité à la municipalité — qui n’en voulait pas —, et un avis d’ébullition a été publié, compte tenu de la présence de coliformes. Cet avis n’a jamais été levé, mais les épisodes de coliformes sont « rarissimes » et l’eau n’est pas impropre à la consommation, soutient Pierre Lefebvre.

« Il y a eu plusieurs tentatives de régler le problème avec des coûts exorbitants », indique M. Lefebvre, qui est en poste depuis 2017. En 2010, la municipalité avait notamment exploré la possibilité de raccorder ce réseau à celui de Cowansville. « Mais ça coûtait une fortune, pour 25 personnes environ », explique le fonctionnaire. L’option de puits individuels a aussi dû être écartée en raison de la petite taille de certains terrains et de la présence de champs d’épuration.

Après l’élaboration de divers projets, des appels d’offres et des soumissions trop coûteuses, la municipalité a finalement opté pour la mise à niveau du système d’aqueduc et la construction d’un bâtiment pour des équipements de traitement de l’eau. Coût du projet : 1,5 million de dollars. Brigham bénéficiera toutefois d’une subvention du Programme d’infrastructures municipales d’eau (PRIMEAU) couvrant 95 % de la facture. Les travaux ont commencé au printemps et devraient se terminer au mois d’août.

« On répare les erreurs du passé », dit M. Lefebvre, qui souligne que ce type de développement remonte à une époque antérieure à la création de la Commission de protection du territoire agricole du Québec et aux schémas d’aménagement.

Des règles clarifiées

En 2015, un rapport du Protecteur du citoyen soulignait qu’il existait 526 réseaux d’aqueduc privés au Québec, desservant 60 000 personnes, soit environ 1 % de la population, et que certains d’entre eux connaissaient des problèmes de qualité d’eau. À l’époque, 97 réseaux d’aqueduc faisaient l’objet d’un avis d’ébullition et 27, d’un avis de non-consommation depuis plus de trois ans. Le Protecteur du citoyen pressait alors le ministère de l’Environnement de mieux prendre en charge les réseaux frappés par de tels avis.

Le ministère de l’Environnement assure avoir pris des mesures pour mieux encadrer les aqueducs privés. Le nouveau Règlement sur les aqueducs et égouts privés, entré en vigueur en mars 2018, clarifie les devoirs des exploitants privés et les modes de calcul des coûts imposés aux utilisateurs. Au même titre que les municipalités, les exploitants privés sont tenus de respecter le Règlement sur la qualité de l’eau potable et doivent effectuer des échantillonnages régulièrement.

Dans un courriel, le ministère souligne que la plupart des cas d’aqueducs privés affectés par des avis d’ébullition ou de non-consommation de longue durée ont été résolus à la suite de l’instauration d’un nouveau cadre d’intervention. On reconnaît toutefois que, dans certains cas, les solutions peuvent être très coûteuses.

Des choix difficiles

Les résidents du secteur Larouche de l’ancienne municipalité de Saint-Louis-de-France, maintenant fusionnée à Trois-Rivières, n’ont pas de problèmes de qualité d’eau, mais ils sont plongés dans l’incertitude depuis quelques mois.

Les 112 résidences du secteur sont approvisionnées par trois puits reliés à un aqueduc privé. Or, l’entreprise Latras, qui en est propriétaire depuis les années 1970, souhaite délaisser l’exploitation du réseau. En mai dernier, la Ville de Trois-Rivières a convoqué les résidents de l’endroit à une soirée d’information afin de leur présenter cinq scénarios quant à l’avenir du réseau privé.

Comme ses voisins, Jean-François Roy aurait souhaité que la Ville prenne en charge le réseau, mais ce n’est pas si simple. Trois-Rivières ne privilégie pas cette option — bien qu’elle puisse être tenue de le faire par un tribunal, a admis un fonctionnaire municipal lors de la présentation aux citoyens —, car elle coûterait 6 millions de dollars et imposerait aux résidents concernés une taxe supplémentaire de 4300 $ pendant 20 ans, explique M. Roy. Un autre scénario propose que les citoyens se regroupent pour prendre en charge le réseau et l’exploiter.

Ces solutions n’ont rien pour enchanter les citoyens. « Il nous manque énormément d’informations », admet Jean-François Roy. Il soutient que la majorité des citoyens concernés sont réticents à l’idée de prendre la responsabilité de l’aqueduc. « C’est un réseau qui est quand même désuet. Ça ne nous tente pas, mais ce sera peut-être la seule solution qu’il va nous rester. On n’a pas envie de vivre ça. On veut juste de l’eau. »

En attente de subventions

Contrairement à Trois-Rivières, la municipalité des Cèdres, en Montérégie, voit un avantage à acquérir les réseaux privés d’aqueduc et d’égout qui desservent à l’heure actuelle 198 habitations de son secteur Lucerne. Le projet permettra à la municipalité de se doter d’une troisième réserve d’eau potable, et les aqueducs alimenteront les quelque 400 résidences d’un développement immobilier situé à proximité, selon la Ville.

Le conseil municipal et les citoyens ont approuvé le règlement d’emprunt de 6,6 millions, mais l’affaire n’est pas réglée puisque la Ville est toujours en attente d’une subvention gouvernementale, en vertu du programme PRIMEAU, qui pourrait couvrir 65 % de la facture. « On maîtrise le dossier, mais plus on discute avec les ministères, plus on en apprend », lance avec ironie Jimmy Poulin, directeur général des Cèdres. Quant aux citoyens desservis par ce réseau qui sera municipalisé, leur facture devrait rester sensiblement la même qu’actuellement, assure M. Poulin.

C’est un réseau qui est quand même désuet. Ça ne nous tente pas, mais ce sera peut-être la seule solution qu’il va nous rester. On n’a pas envie de vivre ça. On veut juste de l’eau.

L’aide gouvernementale est indispensable pour les municipalités de petite taille, qui ne sont pas en mesure d’assumer à coups de millions la mise aux normes d’infrastructures désuètes. La municipalité de Saint-Donat, dans le Bas-Saint-Laurent, envisage la prise en charge du réseau d’aqueduc privé qui dessert la station de ski du mont Comi et une centaine de résidences. Mais comme d’autres, elle attend de voir si son projet pourra se qualifier pour des subventions. Dans son cas, le ministère des Affaires municipales considère les résidents concernés comme des villégiateurs, bien qu’il s’agisse en majorité de résidents permanents, en réalité, souligne le maire Pascal Rioux.

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