Montréal envisage d’empêcher les journalistes d’intervenir devant ses commissions permanentes

Les journalistes ne devraient pas être autorisés à poser des questions lors des séances des commissions permanentes de la Ville de Montréal, selon un rapport déposé au conseil municipal lundi.
Le 17 novembre 2023, en pleine tourmente entourant la gestion déficiente à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), des journalistes présents à une séance de la Commission sur les finances et l’administration avaient profité de la période de questions des citoyens pour interroger Isabelle Beaulieu et Dominique Ollivier, anciennes dirigeantes de l’organisme qui témoignaient ce jour-là. Plus tard dans la journée, la mairesse Valérie Plante avait annoncé qu’elle recommanderait la destitution d’Isabelle Beaulieu et la mise sous tutelle de l’organisme. De son côté, Dominique Ollivier avait déjà démissionné de son poste de présidente du comité exécutif.
Un citoyen s’était plaint de voir la période réservée au public se transformer en « conférence de presse », jugeant que les droits des Montréalais s’en trouvaient brimés. Ce citoyen est Robert Perreault, un ancien conseiller municipal et ami de Dominique Ollivier. Un mandat avait alors été donné à la Commission de la présidence du conseil, composée d’élus des différentes formations politiques, pour qu’elle se penche sur la question.
Dans un rapport entériné à l’unanimité par ses membres, la Commission de la présidence du conseil suggère à la Ville de modifier les règlements encadrant les commissions permanentes afin d’y préciser que le terme « citoyen » exclut les journalistes, de manière que ceux-ci ne puissent plus prendre la parole lors de la période de questions du public.
Le document fait valoir « qu’il existe des canaux privilégiés pour les journalistes afin d’obtenir réponse à leurs questions », notamment le service des relations médias de la Ville. « La Commission est convaincue que ces modifications réglementaires contribueront à favoriser la participation des citoyennes et citoyens à la prise de décision », souligne le rapport.
Les journalistes interviennent rarement lors des travaux des commissions permanentes, mais le président de la Commission sur les finances et l’administration, Pierre Lessard-Blais, avait estimé à l’époque qu’il était nécessaire de leur donner l’occasion de questionner les deux anciennes présidentes de l’OCPM. « Dans ce dossier-là, il y avait une crise de transparence, une crise de confiance du public », avait-il expliqué en décembre 2023. « On le sait, lors de la tenue de cette commission, il y avait encore des intervenants qui refusaient de répondre à des médias, et, dans un contexte de transparence, on croyait que c’était important que les personnes répondent non seulement aux commissaires, mais aussi aux médias. »
La FPJQ préoccupée
Le conseil municipal pourrait être appelé à trancher sur la question à une date ultérieure, mais la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) s’inquiète de cette proposition, qu’elle voit comme un obstacle supplémentaire au travail des représentants des médias.
L’enjeu peut paraître anodin, mais il demeure préoccupant, estime Éric-Pierre Champagne, président de la FPJQ et journaliste à La Presse. « C’est un frein de plus qui s’ajoute pour rendre plus difficiles le travail des journalistes et l’accès à l’information. Les travaux des commissions sont des événements publics, et c’est le rôle des médias d’informer la population. Je ne pense pas que le fait de permettre aux journalistes de poser des questions empêche les citoyens de le faire », avance-t-il.
Le cabinet de la mairesse Valérie Plante précise que les propositions de la Commission de la présidence du conseil seront analysées et que le comité exécutif aura à se prononcer sur la question. « La transparence et l’accès à l’information sont primordiaux pour notre administration », soutient le cabinet dans une déclaration transmise au Devoir. « Les commissions et leur période de questions mobilisent des groupes, des experts, des membres de la société civile et la population, qui se prononcent sur des sujets précis, qui sont accessibles pour les membres des médias et au grand public, comme le sont le conseil municipal et les conseils d’arrondissement. […] En tout temps, les journalistes peuvent formuler leurs questions et leurs demandes d’entrevues en marge des commissions. »
Serge Sasseville, conseiller indépendant dans l’arrondissement de Ville-Marie, a dénoncé la recommandation formulée par la Commission. « Les journalistes jouent un rôle fondamental dans la démocratie, et ce sont aussi des citoyens et des citoyennes », a mentionné lundi, lors de l’assemblée du conseil municipal, celui qui a travaillé pendant plus de 30 ans au sein de Québecor. « Je suis absolument contre les conclusions de ce rapport, qui m’apparaissent hautement contestables devant les tribunaux comme une violation de la liberté de presse garantie par les chartes. »