Montréal aménage une halte-chaleur sans attendre le financement de Québec

Une nouvelle halte-chaleur sera ouverte à Montréal à compter de vendredi pour accueillir des sans-abri.
Photo: Marie-France Coallier Archives Le Devoir Une nouvelle halte-chaleur sera ouverte à Montréal à compter de vendredi pour accueillir des sans-abri.

À l’aube d’une fin de semaine qui s’annonce glaciale, la Ville de Montréal a aménagé à ses frais une halte-chaleur pour itinérants dans ses propres locaux, soit dans l’annexe de l’édifice Lucien-Saulnier, rue Notre-Dame Est. La mairesse Valérie Plante, qui dénonce l’absence d’un plan national de lutte contre l’itinérance, s’attend à ce que Québec lui rembourse la facture.

Montréal n’a pas attendu la confirmation du financement de Québec avant d’ouvrir ce local, estimant qu’elle ne pouvait retarder le projet plus longtemps avec l’arrivée des grands froids. « On ne veut pas laisser les gens dehors. Ce n’est pas une solution parfaite, mais je pense que les Montréalais veulent qu’on trouve une solution », a indiqué la mairesse Plante jeudi, lors d’une visite des lieux.

Située tout près de l’hôtel de ville, la nouvelle halte-chaleur sera ouverte à compter de vendredi pour accueillir des sans-abri entre 19 h à 7 h, et ce, pour les prochains mois. Les lieux comportent une salle principale composée d’une cuisinette, de tables et de chaises, ainsi que de deux salles de repos, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes, meublées avec des chaises de type Adirondack.

La Ville a dû procéder à certains travaux dans les locaux, dont le retrait de cloisons, afin de respecter les normes de sécurité. Pour l’instant, la halte-chaleur, qui peut accueillir une trentaine de personnes, sera gérée par l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale de la Ville de Montréal, accompagnée par une firme de sécurité. C’est que la Ville n’a pas été en mesure de trouver un organisme communautaire acceptant ce mandat sans confirmation du financement provincial.

Valérie Plante a dénoncé l’absence d’un plan national de lutte contre l’itinérance, ainsi que l’octroi à la dernière minute du financement pour les ressources hivernales. « Entre vous et moi, c’est quand même spécial que ce soit seulement vendredi passé, le 16 décembre, que, finalement, l’argent du fédéral soit passé par Québec et, là, on fait l’appel à des projets pour des ressources cet hiver », a souligné la mairesse Plante. « Ça dépasse l’entendement parce que […] des tentes, il y en avait cet été. Ces gens-là n’allaient pas disparaître d’un coup avec l’hiver. »

La Ville s’attend donc à ce que le gouvernement du Québec lui rembourse les frais qu’elle a assumés pour l’aménagement de la halte-chaleur, ainsi que les dépenses liées à sa gestion. « Ça nous a coûté 20 000 $ juste pour adapter le bâtiment et le rendre sécuritaire. Après, ça se compte en centaines de milliers de dollars pour l’opérer », a indiqué le responsable du dossier de l’itinérance au comité exécutif, Robert Beaudry. « C’est une responsabilité d’État. L’État doit prendre ses responsabilités. […] Mais il n’est pas question qu’on ne soit pas remboursé, ça, c’est clair. »

Également, un centre d’hébergement d’urgence temporaire ouvrira ses portes samedi au YMCA Centre-ville, au 1440, rue Stanley, afin d’accueillir une cinquantaine de personnes itinérantes.

Dans un courriel transmis au Devoir, le cabinet du ministre des Services sociaux, Lionel Carmant, souligne qu’une part des 50 millions transférés par Ottawa sera allouée aux projets destinés aux personnes en situation de vulnérabilité, parmi lesquels les haltes-chaleur. « Le gouvernement du Québec reconnaît l’importance de soutenir les efforts visant à offrir des refuges temporaires durant la période hivernale », indique-t-on. « À cet égard, Montréal bénéficiera d’un financement de 24 millions de dollars sur deux ans. »

S’habituer à l’inacceptable

L’hiver s’annonce difficile. Déjà, les refuges et les haltes-chaleur déjà ouverts débordent et doivent refuser des personnes itinérantes chaque soir. « On n’a pas fini d’être dépassés par la situation », se désole Annie Savage, directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal. « Malheureusement, il n’y a pas de mesures assez profondes et les changements de culture et de vision sont nécessaires pour renverser vraiment le phénomène au point de voir une réduction de l’itinérance. Il va falloir s’habituer à ce qui est inacceptable. »

Mme Savage salue tout de même la décision de la Ville de Montréal d’ouvrir des ressources supplémentaires.

Reste que le financement pour de nouvelles places arrive tardivement. « Je pense que c’est très lié au calendrier politique et des ententes qui doivent se signer. C’est sûr que c’est toujours le milieu communautaire et les gens les plus vulnérables qui en font les frais. Il y a vraiment une lourdeur administrative dans tout ça. »

Selon elle, la crise de l’itinérance devrait être considérée comme un « motif humanitaire » forçant l’action pas seulement en hiver, mais toute l’année. « Des lieux d’accueil sur des chaises, on ne crachera pas là-dessus », poursuit Mme Savage. « Ça en prend. Mais c’est loin de la dignité qu’on devrait être capable d’offrir à une personne qui a surtout besoin d’humanité et de dignité pour pouvoir se rattacher à un système qui l’a abandonnée depuis plusieurs années. »

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