Au Mexique, la ruée vers la tequila met les producteurs d’agave dos au mur

La forte demande mondiale de tequila a provoqué au Mexique une explosion des cultures des plantes d’agave, une frénésie qui a fait chuter les prix de la matière première, au détriment des producteurs traditionnels.
Les exportations, notamment vers les États-Unis, ont bondi de 224,1 millions de litres en 2018 à un record de 402,1 millions l’année dernière, selon le Conseil régulateur de tequila (CRT), qui veille au respect de l’origine d’appellation contrôlée issue d’une localité de l’État du Jalisco (nord-ouest).
En raison de cette soudaine prospérité, l’agave est devenu rare, et les fabricants de tequila ont payé jusqu’à 35 pesos par kilo (1,75 $ au cours actuel), se souvient Javier Guzmán, chef de Barzón Agavero, l’organisation qui réunit 5000 producteurs traditionnels.
« Ces prix ont incité des personnes extérieures à la production [traditionnelle] à planter de l’agave à tort et à travers, à tout-va », raconte l’agriculteur de 80 ans.
« Il y a des gens qui ont vendu leur usine, leur hôtel, leurs terres, leur ranch pour se lancer dans la culture de l’agave », ajoute le patriarche à Zapotlanejo, dont le paysage aride s’est paré du vert des plantations d’agave ces dernières années.
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La frénésie a conduit à un accroissement du nombre de producteurs enregistrés, qui sont passés de 3180 en 2014 à 42 200 en 2024.
Pendant ce temps, la superficie cultivée a augmenté de 95 089 hectares en 2018 à 214 620 en 2023, selon les chiffres du gouvernement mexicain.
Cela a entraîné une surproduction qui a fait chuter les prix de l’agave jusqu’à un prix moyen de huit pesos par kilo actuellement (0,40 $), rapportent les producteurs.
Les nouveaux acteurs ont mis sur le marché plus « que ce que l’industrie peut consommer en une année », indique à l’AFP Alexis Álvarez, secrétaire du CRT.
En conséquence, les fermiers traditionnels réclament un tarif garanti d’environ 0,60 $ par kilo, qui couvre au moins les coûts de production, indique Martín Franco, vice-président du Barzón Agavero.
Mais ils font face à des défis supplémentaires. Premièrement : le président Donald Trump menace de taxer toutes les exportations mexicaines à 25 %. La menace a été suspendue un mois début février, après un accord avec la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, pour renforcer la surveillance de la frontière entre les deux pays.
« Les États-Unis consomment environ 85 % de la tequila produite sous l’appellation d’origine […], alors bien sûr que cela m’inquiète », reconnaît Guzmán.
Et puis, il y a l’ombre des « coyotes », des intermédiaires qui exploitent le désespoir des paysans pour acheter les récoltes à seulement 0,10 $ le kilo.
Pour contrer les « coyotes », le CRT a lancé une plateforme numérique où les cultivateurs traditionnels peuvent répondre à des commandes d’achat avec des prix garantissant une « rentabilité raisonnable ».
Paradoxalement, l’effondrement des cours de l’agave n’a pas entraîné la baisse des prix de la tequila. Au contraire, les prix augmentent, sous l’effet de la demande internationale, avec — loin derrière — les États-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, le Canada, la France, le Royaume-Uni, la Chine, l’Australie, la Colombie et le Japon.
La production pour la consommation intérieure représente moins de 20 % du total.
Martín Martínez est le gérant de La Iberia, une taverne du centre de Guadalajara (capitale de Jalisco) fondée en 1877. À la tête de ce lieu où viennent chanter des mariachis, il estime que, ces six dernières années, les prix de la tequila ont doublé, ce qu’il juge exagéré.
M. Martínez a dû réduire ses marges bénéficiaires pour ne pas perdre de clients, dont certains, dit-il, sont passés à des marques « un peu plus abordables […] au détriment des reposados et añejos [les tequilas qui ont quelques années] ».
Malgré cela, Martínez se sent tranquille. Il a réussi à éviter la fermeture de La Iberia après des difficultés financières, et il est sûr que la consommation de tequila, un produit de « qualité exceptionnelle », est garantie même si la quantité diminue.