Métaphores en bouquet

Cette production italo-franco-suisse-britannique aurait reçu, au cours des années 1990, l’étiquette alors consacrée d’europudding, sur brassage d’acteurs de nationalités diverses, et cinéaste privé d’ancrage. Mais Youth, de l’Italien Paolo Sorrentino, qui a reçu le prix du meilleur film européen 2015, vaut mieux qu’une étiquette. Il a le malheur de s’inscrire toutefois dans le courant irritant du cinéma européen qui mêle des stars de partout en un lieu neutre, tout en choisissant la langue anglaise comme appât planétaire.
Et puis, il ne fait pas dans la nuance, en met plein la vue. Trop, comme les bijoux d’un nouveau riche, mais avec des coups d’éclat, des idées foisonnantes, témoignant d’un amour fou du cinéma.
Son directeur photo fétiche, Luca Bigazzi, en soigne l’image idéale et le cadre parfait comme il l’avait fait pour la Rome de La grande Bellezza. Le lieu, idéalisé, magnifié, est ici celui des Alpes suisses. La musique de David Lang mélange la pop et la musique classique avec ardeur.
Nous voici dans un grand hôtel de cures thermales, où deux amis octogénaires, Mick (Harvey Keitel), cinéaste qui rêve encore à son grand oeuvre, et Fred (Michael Caine), qui met derrière lui sa carrière de chef d’orchestre compositeur, malgré les supplications d’un émissaire royal.
Le tandem formé par ces deux acteurs, réunis pour la première fois, est un délice. Les répliques qu’ils nous servent aussi, avec une ironie débordante, sur la vieillesse et ce que le temps les force à sacrifier, est un écho à La Grande Bellezza, mais sans la fête et les atours, sans l’ombre proéminente de Fellini, soudain plus camouflée et sur des dialogues souvent ciselés, qui font mouche.
Plusieurs scènes sont très drôles : Jane Fonda en star décatie qui manie l’injure avec panache ; d’autres, poétiques à souhait, comme lorsque l’ancien champion de foot Diego Maradona, devenu gros, fait bondir un ballon sur son pied avec une grâce de ballerine, ou quand l’ancien chef d’orchestre improvise un concert pour cloches à vache suisses. Parfois, l’image est seulement excessive, ainsi lorsqu’une reine de beauté nue entre dans la piscine des octogénaires, pour mieux souligner des contrastes compris par tous. Tout est métaphore.
Avec ses outrances, sa misanthropie, sa misogynie, son humour et sa poésie, avec aussi un don pour des figures secondaires acerbes et colorées, avec la nostalgie qui teinte tous ses films, ces rêves de beauté coupés de laideur, ces univers au bord du gouffre, une sorte de Guépard à l’envers, Sorrentino offre sa valse du dernier tour de piste, tonitruante soit, mais folle et éclatante. Ne serait-ce que pour la réunion d’acteurs mythiques qui jouent à s’épater, Youth mériterait cent fois qu’on s’y frotte.
Avec ses outrances, ses cadres parfaits et sa distribution all stars : Michael Caine, Harvey Keitel, Jane Fonda, etc., cette fable sur les regrets de la vieillesse en met certes plein la vue, mais avec son duo d’octogénaires acerbes, son humour, sa poésie, ses images métaphoriques à tire-larigot, Youth témoigne d’un amour immodéré du cinéma, qui excuse (à peu près) tout. Il a d’ailleurs remporté le prix du meilleur film européen de l’année.