Un mégachantier «vert» au siège social d’Hydro-Québec

L'intérieur du hall d’entrée du siège social d’Hydro-Québec, au 75 René-Lévesque Ouest. Il y a entre autres une grande murale de Mousseau.
Photo: Adil Boukind Le Devoir L'intérieur du hall d’entrée du siège social d’Hydro-Québec, au 75 René-Lévesque Ouest. Il y a entre autres une grande murale de Mousseau.

Un chantier colossal est en préparation au siège social d’Hydro-Québec. La société d’État s’apprête à réaménager de fond en comble 23 étages de l’édifice emblématique du centre-ville de Montréal, inauguré en 1962. Tout l’intérieur de l’immeuble sera déconstruit, y compris les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, ce qui générera 1600 tonnes de débris de démolition.

Selon ce que Le Devoir a appris, la société d’État compte faire de ce chantier un modèle de récupération et de réutilisation des résidus de rénovation. Les équipes d’Hydro ont calculé qu’au moins 70 % des matériaux de déconstruction éviteront le chemin du dépotoir — l’objectif est même d’atteindre 80 %, une rareté quand on sait qu’à peine 25 % des débris de rénovation sont recyclés ou réutilisés au Québec.

Les débris de construction, de rénovation ou de démolition encombrent littéralement les dépotoirs : ils représentent 38 % des matières envoyées dans les sites d’enfouissement au Québec.

À Hydro-Québec, on estime pourtant qu’une bonne partie des résidus du futur chantier — bois, pièces en métal de systèmes mécaniques, cloisons de séparation entre espaces de bureau, mais aussi chaises, tables, tapis, stores et bien d’autres choses — pourra être réutilisée, transformée ou recyclée.

Ce chantier sera un des premiers de cette ampleur au Québec à mettre en pratique les principes de l’économie circulaire, qui consistent à prolonger la durée de vie de matériaux — en les réutilisant ou en les recyclant — plutôt que de les envoyer au dépotoir.

« Le principe de circularité est ancré dans nos pratiques depuis très longtemps », fait valoir Marie-Julie Archambault, directrice de l’environnement chez Hydro-Québec. « Les attentes sont grandes » pour que la société d’État se montre exemplaire dans la gestion de ses déchets de toutes sortes, ajoute-t-elle.

Hydro recycle ainsi 95 % des huiles utilisées dans ses activités, notamment dans les transformateurs. La quincaillerie des lignes de transmission d’électricité est réusinée. Les uniformes de travail sont revendus. Le matériel informatique, le mobilier de bureau, les classeurs et bien d’autres éléments trouvent une seconde vie dans l’économie circulaire, plutôt que d’aboutir dans les sites d’enfouissement.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Selon ce que «Le Devoir» a appris, la société d’État compte faire de ce chantier un modèle de récupération et de réutilisation des résidus de rénovation.

Chantier vertigineux

Les rénovations au siège social sont devenues nécessaires en raison de la vétusté de l’immeuble, inauguré il y a 62 ans. Les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation ont atteint leur fin de vie, selon Hydro-Québec. Le télétravail, qui s’est généralisé depuis la pandémie, a aussi incité la société d’État à revoir l’aménagement de ses espaces intérieurs pour faciliter l’esprit d’équipe.

En prévision du chantier, au moins un étage a été vidé de ses occupants, qui ont été déplacés ailleurs au centre-ville. Hydro-Québec indique que l’échéancier des travaux reste à préciser en raison de la complexité du chantier.

L’ampleur des rénovations donne le vertige : la société d’État calcule que 7038 plaques de gypse (d’un poids total de 257 tonnes) doivent être enlevées, ainsi que 143 tonnes de tuiles de plafond, 6,2 tonnes de laine isolante contre le bruit, tout comme des centaines de kilomètres de fils électriques, de pièces métalliques de ventilation et de la tuyauterie.

Quelque 3000 postes de travail, séparés par 10 000 cloisons, ainsi que 4000 fauteuils font aussi partie des matières à gérer. Le plan prévoit que 2000 fauteuils et 1500 pièces de mobilier (armoires, classeurs, tables, etc.) seront tout simplement conservés, au siège social ou dans d’autres immeubles d’Hydro-Québec.

Du patrimoine à protéger

Des éléments patrimoniaux seront préservés malgré la cure de rajeunissement de l’édifice, indique la société d’État. La murale Lumière et mouvement dans la couleur, de Jean-Paul Mousseau, l’un des plus jeunes signataires de Refus global, restera dans l’immeuble. Le jeune artiste avait remporté en 1961 le concours visant à orner le hall d’entrée du siège social. La présence de marbre, au rez-de-chaussée, fait aussi partie de l’identité de l’édifice.

Faire du neuf avec du vieux

Les chaises de travail, par exemple, restent généralement fonctionnelles malgré l’usure des tissus et des accoudoirs. Pour prolonger la durée de vie du mobilier, la société d’État mène un partenariat avec Inovem, le Centre collégial de transfert technologique du cégep de Victoriaville. Ce collège exploite l’École nationale du meuble et de l’ébénisterie, qui a une antenne à Montréal.

Les chercheurs d’Inovem, appuyés par le Réseau de recherche en économie circulaire du Québec, ont eu pour mission de vérifier la pertinence de démanteler le mobilier en vue de le reconstruire. « La question, c’est : “Est-ce qu’on peut faire du neuf avec du vieux ?” Ce n’est pas simple, mais la réponse est oui », dit Adeline Seneclauze, chargée de projet à Inovem.

Elle et son équipe ont démantelé quatre cubicules (des espaces de travail individuels séparés par des cloisons) fournis par Hydro-Québec. Ils ont conclu que 60 % des résidus de ces cubicules peuvent être récupérés. Il est possible d’utiliser ces matériaux pour reconstruire du mobilier conçu sur mesure pour les besoins de la société d’État.

Le « surcyclage » du mobilier coûte moins cher qu’acheter du neuf même en tenant compte du temps de démontage des meubles, des rajustements à faire sur chacune des matières — par exemple, raboter le bois — ainsi que du coût de transport et d’entreposage des matériaux à réutiliser. Inovem ne fabriquera pas le mobilier d’Hydro, mais pourra accompagner le fournisseur qui sera choisi par appel d’offres.

Un signal fort

Le réemploi de certains matériaux de construction — notamment le gypse, la laine de verre isolante et les tuiles de plafond — est toutefois jugé problématique, en l’absence de filière pour transformer ces résidus.

« Hydro-Québec envoie [tout de même] un bon signal pour les grands donneurs d’ouvrage. On sent une réelle volonté d’arrêter d’envoyer des bennes entières de matériaux à l’enfouissement », dit Hortense Montoux, chargée de projet au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC), qui accompagne la société d’État dans son mégachantier.

Elle juge positivement le fait de pouvoir documenter les défis d’instaurer les principes d’économie circulaire dans un important projet de déconstruction comme celui d’Hydro. « C’est très peu fait au Québec, et ça permet de faire avancer la réflexion », dit-elle. Le CERIEC a accompagné 18 autres projets de démolition au Québec dans le cadre de son Lab construction.

Un tel chantier est plus complexe à gérer que des rénovations menées hors de l’économie circulaire : le démantèlement prend plus de temps, pour éviter d’abîmer les matériaux. Et il faut entreposer ou transporter les matières, en vue de leur futur réemploi. Les donneurs d’ouvrage doivent prévoir des clauses à cet effet dans leurs contrats avec les entrepreneurs.

Deux autres chantiers de rénovation de bâtiments d’Hydro, à Blainville et à Saint-Jérôme, permettent de tester les possibilités de réemploi des résidus de déconstruction. Dans un des chantiers, 90 % des portes seront réutilisées. Un petit geste susceptible d’inspirer d’autres responsables de travaux, qui mènera moins de débris au dépotoir. Et qui limitera l’extraction de précieuses matières premières vouées à la fabrication de portes.

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