Maxime Goulet, compositeur entrepreneur

Maxime Goulet est le compositeur de l'oeuvre «Le carnaval des insectes».
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Maxime Goulet est le compositeur de l'oeuvre «Le carnaval des insectes».

Dimanche, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) créera Le carnaval des insectes, sa première commande à Maxime Goulet. Après son prix Juno pour la Symphonie de la tempête de verglas remporté en 2024, le prolixe compositeur est désormais sur des rails solides.

Cela fait bien plus de dix ans que nous avons remarqué le talent singulier de Maxime Goulet. En 2012, il avait imaginé une œuvre associant sa musique à des parfums de chocolat. En 2016, il coordonnait pour l’Orchestre Métropolitain la Symphonie du jeu vidéo de Montréal, avec la participation d’une foule en liesse. Rien est à son épreuve : la partie historique d’échecs entre Gary Kasparov et l’ordinateur Deep Blue lui inspire le concerto pour piano Checkmate ! et, dans les studios de conception de jeux vidéo, ses créations accompagnent Spiderman ou Shrek, et épaulent les constructeurs de parc d’attractions en chambre ainsi que les chasseurs de corbeaux.

Insectarium

Dimanche, à la Maison symphonique de Montréal, son Carnaval des insectes cherchera à attirer l’attention des enfants et des adultes. « Un peu comme dans le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, de courts mouvements évoquent des animaux. Et chacun de ces mouvements met en valeur un instrument ; ce sont donc les avantages de Pierre et le loup et du Carnaval des animaux mis ensemble dans une même œuvre », explique M. Goulet.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Mon nom est associé à des projets ludiques. Cet enregistrement et le prix ont mis en valeur mon côté sérieux, capable de traiter de sujets profonds, et suscitent donc des projets de cet ordre en ce moment.»

L’œuvre était initialement associée à la réouverture du nouvel Insectarium, en 2022. Mais la pandémie de COVID-19 a retardé ce projet, qui se déclinera aussi en concerts scolaires. En 16 mouvements d’une durée totale de 20 minutes, Goulet crée de petits tableaux pour « permettre de découvrir ce qu’un instrument peut faire ». Ainsi, la flûte est associée à la libellule, capable de voler dans toutes les directions.

« Mon premier exercice a été de trouver les associations entre chaque insecte et des instruments. » On sent que ce petit jeu a bien amusé le compositeur. « La coquerelle, c’est le tuba. Cet insecte peut manger à peu près tout, de la colle au bois, en passant par des poils. Le tuba est à toute épreuve. » Lors du concert, chaque mouvement fera l’objet d’une introduction poétique par des acteurs.

« Je connais bien les musiciens de l’OSM et cela m’amusait de les imaginer jouant cette œuvre-là », raconte le compositeur, dont c’est la première pièce après la naissance de sa fille, Mina. L’œuvre lui est dédiée. Un tendre « À ma puce » orne la partition.

Consécration

Au début de l’année 2023, Maxime Goulet nous étonnait avec sa Symphonie de la tempête de verglas. L’enregistrement dirigé par Jacques Lacombe était paru pour le 25e anniversaire de l’événement. « Disque patrimonial important », avions nous écrit pour cette symphonie que nous placions dans la lignée de Jacques Hétu.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir La suite orchestrale est composée de 16 courts mouvements chacun dédié à un insecte différent et mettant de l’avant un instrument spécifique de l’orchestre.

À la base du projet, il y avait eu le regretté Boris Brott. Maxime Goulet voulait composer une Symphonie no 1. Il a acquiescé à la requête d’un thème, car Boris Brott et Taras Kulish, de l’Orchestre classique de Montréal (OCM), lui avaient demandé un titre attirant l’attention. « Je suis là pour aider les ensembles afin que les concerts fonctionnent », commente Maxime Goulet lorsqu’on lui demande si, aujourd’hui, le titre n’est pas un boulet à l’exportation et à la diffusion d’une œuvre dans des territoires qui n’ont jamais entendu parler de cet événement. « On peut y attacher des thèmes universels », dit-il.

« Pour moi, écrire une symphonie, c’est comme écrire un roman. Il faut que le thème soit assez fort pour qu’on puisse l’aborder de diverses façons. La tempête suscitait beaucoup d’évocations : la nature, la solidarité, la noirceur, le retour de la lumière. Je voyais des tableaux, des arcs dramatiques. Et le sujet québécois appelait des rythmes. »

Le prix Juno de l’« Album classique de l’année (grand ensemble) » est venu consacrer ce travail en mars 2024. « Mon nom est associé à des projets ludiques. Cet enregistrement et le prix ont mis en valeur mon côté sérieux, capable de traiter de sujets profonds, et suscitent donc des projets de cet ordre en ce moment. »

Débrouille

La symphonie est le fruit du tempérament très débrouillard de Maxime Goulet. Lorsque l’OCM a demandé une bourse pour financer le projet de symphonie, il n’a pas obtenu la somme nécessaire. « Je connais beaucoup d’ensembles qui ont cette petite somme pour des pièces de dix minutes. Si tout le monde se met ensemble, on peut le faire », a répondu le compositeur.

Maxime Goulet a donc frappé à la porte des orchestres à Laval, à Sherbrooke, à Trois-Rivières et à celle de l’Orchestre ROCO, au Texas, mutualisant en quelque sorte la conception, mouvement par mouvement, de la symphonie. Et les institutions ont embarqué, chacune créant en primeur son petit bout de symphonie.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Mon premier exercice a été de trouver les associations entre chaque insecte et des instruments. La coquerelle, c’est le tuba. Cet insecte peut manger à peu près tout, de la colle au bois, en passant par des poils. Le tuba est à toute épreuve.» Lors du concert, chaque mouvement fera l’objet d’une introduction poétique par des acteurs.

« J’ai toujours eu le côté entrepreneur et j’ai su monter mes propres projets. Je savais que, si je voulais que mes œuvres soient jouées, il ne fallait pas attendre que le téléphone sonne. Pour Chocolats symphoniques, j’ai monté un concept et suis allé voir Boris Brott à Hamilton. Ensuite, je suis allé à Prague enregistrer un CD que j’ai financé de ma poche. Ce CD m’a mis sur la carte et a fait que l’œuvre a été jouée 70 fois, partout dans le monde. Si je ne pousse pas pour ma musique, qui va vouloir le faire ? » dit le compositeur.

« Ma grande passion, c’est la musique de concert, mais c’est difficile de gagner sa vie comme ça. » Maxime Goulet a donc été compositeur résident de bandes sonores pour des jeux vidéo chez Gameloft. « J’étais comme Batman : je composais la musique de jeux vidéo de jour, et la nuit et la fin de semaine, je composais de la musique de concert. J’ai mené ces deux vies de front pendant longtemps. »

Guitariste

« On s’imagine que, dans la musique classique, les gens ont commencé par le piano à quatre ans. Moi, comme beaucoup de jeunes, je jouais de la guitare électrique dans mon sous-sol à 13 ans. Un jour, j’ai vu Orange mécanique à la télé et ça a été le coup de foudre pour la musique classique. J’avais aussi vu une infopub pour une série de CD, Classical Thunder, les classiques les plus intenses. On se demande toujours qui achète ça. Eh bien, moi ! Je m’étais dit : “Ah, c’est bon, ces musiques-là.” J’avais pris mon crayon, noté le numéro, appelé, acheté la collection. Après, ils m’envoyaient des CD tous les mois. »

À cette époque, Maxime Goulet avait un groupe de rock. « J’écoutais Emerson, Lake and Palmer, qui faisait Pictures at an Exhibition en rock. Ça a été mon point d’entrée : comprendre comment les grands maîtres composent. Avoir une partition d’orchestre à réduire pour les quatre instruments de mon groupe, il faut vraiment comprendre qui a la mélodie, qui fait des doublures, quelles sont les textures d’accompagnement et comment les réduire. On apprend beaucoup sur le métier. Ce qui est drôle, c’est que c’est l’inverse des cours d’orchestration, où on donne une partition de piano à orchestrer ! Mais comment orchestrer sans comprendre l’art des grands maîtres en les réduisant ? »

Au cégep, c’était la guitare électrique et le jazz. « Un bon choix, car on apprend le pourquoi et le comment. L’improvisation est une composition spontanée, donc il faut comprendre que, sur tel accord, on peut jouer telle gamme, tel mode ou tel accord, qu’on peut substituer par tel autre. Mais lorsque j’improvisais, je restais dans mes valeurs sûres, alors qu’en composant ou [en] arrangeant, j’explorais autant que je voulais. » C’est ainsi que le guitariste rock et jazz est devenu compositeur avec une maîtrise de l’Université de Montréal.

À l’orée de ses 45 ans, il revoit ces années volontaristes où des ensembles qui croyaient en lui créaient des œuvres pour lesquelles il n’était pas rémunéré. « Je faisais des demandes de bourses que je ne recevais jamais, parce que la musique que j’écris n’est plus issue de la “tradition classique” et que les jurys sont des jurys de pairs. » Il gagne donc sa vie grâce aux jeux vidéo, mais se fait entendre par des ensembles plus gros qui, eux, ont les moyens de le payer. « Des orchestres m’approchaient en me disant : “Les musiciens aiment ça, le public aime ça.” Les œuvres créées me servaient de carte de visite. »

Aujourd’hui, Maxime Goulet n’est plus un salarié de l’industrie des jeux vidéo. Il est sollicité pour certains projets. « Les personnes qui viennent me chercher me cherchent pour un type de son, ma musique orchestrale. » Elle englobe désormais tous les univers.

Le Bal des enfants

À la Maison symphonique de Montréal, dimanche, à 14 h 30. Animation dans les foyers dès 13 h et après le concert.

En concert cette semaine

Le Festival international Montréal/Nouvelles Musiques, toute la semaine à Montréal.

Rafael Payare dirige la 11e Symphonie de Chostakovitch avec l’OSM, mercredi et jeudi à la Maison symphonique de Montréal.

À voir en vidéo