Marina Orsini, enfin chanteuse, avec ses chansons à elle

Marina Orsini sort un album intitulé «Reconstruire les saisons».
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Marina Orsini sort un album intitulé «Reconstruire les saisons».

Dès Les cendres de nos étés, première des dix chansons, on sait. Cela s’entend. Une vérité manifeste dans le timbre. Justesse de ton, naturel du rendu, capacité d’émouvoir sans qu’il y ait dans l’interprétation la moindre mise en scène de l’émotion. C’est là. Marina Orsini chante comme une chanteuse chante. Jamais comme une comédienne qui ferait la chanteuse. C’est l’évidence même. Pour quiconque a été à proximité d’elle durant le processus de création et d’enregistrement. Tout le monde sauf elle.

Marina lâche un doux rire au bout du fil. Et raconte. « Quand je suis entrée en studio avec Catherine… » Comme dans Catherine Major, qui a concrétisé avec son conjoint et complice, Jeff Moran, ce rêve que chérissait depuis si longtemps leur amie : un album de chansons issues de ses carnets de notes, un disque d’interprète de ses propres créations. « Quand, dans ta tête et dans ton métier, t’es pas une chanteuse… Je suis d’abord une actrice et une animatrice, j’aime chanter et je me décris comme une actrice qui aime chanter. Catherine me chicanait tout le temps. “Non, t’es une chanteuse !” Non, je suis une actrice qui peut chanter ! »

Le danger et le besoin d’oser

En vérité, elle est tout ça. Y compris chanteuse, officiellement désormais. « Pour moi, le danger c’était justement de trop y croire, de vouloir être lyrique, de montrer que je suis capable de tenir la note et d’avoir un vibrato… Catherine m’a confrontée à ça, m’a fait comprendre que je n’étais pas obligée de pousser. “Non, va pas là, laisse sortir ce qu’il y a en dedans !” Alors je suis partie de mon métier pour me trouver. Moi, je suis une interprète, dans la vie. Ma job d’actrice, c’est d’interpréter des textes. Alors c’est ça que j’ai fait, j’ai interprété mes textes. Au point où j’avais l’impression parfois de ne pas chanter du tout. En faire moins plutôt qu’en faire plus, c’est chanter quand même : sous la direction de Catherine, j’ai compris ça. »

Ce n’est pas comme si Marina Orsini n’avait pas déjà démontré qu’elle le pouvait. Mais c’était très nommément dans le cadre de sa vie de vedette populaire de la télé, du cinéma, de la radio. Ici un rôle dans une comédie musicale, là une reprise de J’ai rencontré l’homme de ma vie avec Pierre Lapointe, des participations ponctuelles à des disques de duos (avec Dan Bigras, René Simard, Lynda Lemay), des invitations à chanter plusieurs fois plutôt qu’une à l’émission qui s’y prête le plus, En direct de l’univers. Entre autres occasions saisies, en quarante ans d’existence familière et sympathique dans le cœur du public québécois. « À chaque fois, c’était la joie, mais ce n’était pas la même chose que ce projet. Là, c’est différent. Je signe. Je suis entièrement moi. »

L’album avant l’album

L’histoire commence longtemps avant. Au commencement de tout. « La musique, ça a toujours fait partie de ma vie. Ma mère chantait. À un moment donné, elle a rencontré quelqu’un avec qui elle a carrément fait de la musique. Moi, j’ai des CD de ma mère, faits dans les dernières années de sa vie. Je ne peux pas vivre sans musique. Je m’étais promis qu’à mes 50 ans, j’entrais en studio avec des musiciens. Fallait que je touche à ça. Pour moi. Et effectivement, je suis entrée en studio avec nul autre que David Laflèche. On se connaissait. Je lui ai dit : “Je veux faire un album de reprises. Il est fait, il est dans mon ordinateur.” On a fait ça en une fin de semaine dans les Laurentides. Dire le plaisir indescriptible que j’ai vécu ! J’étais contente, fière du résultat. Mais rien de plus que ça : un cadeau personnel. Ce n’était pas destiné à être mis sur le marché. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Je ne peux pas vivre sans musique», confie Marina Orsini.

Reconstruire les saisons, on peut se le procurer dès maintenant. « Ma session de reprises, au mieux, ça me démontrait que je pouvais faire mon disque, si je le voulais vraiment. Il m’a fallu presque une décennie de plus pour m’en convaincre, et une Catherine Major et un Jeff Moran pour y croire tellement que j’ai osé. Au risque d’ouvrir mon cahier d’écriture. Je me revois avec le premier texte que j’ai présenté à Jeff. J’étais comme une petite fille de 5, 6 ans qui vient d’écrire un poème à l’école et qui doit le réciter. J’étais vraiment dans un état de fragilité extrême, mais en même temps, j’avais dit oui, fallait que je le fasse, coûte que coûte. J’ai été accueillie avec tellement d’amour, de respect, d’écoute. Jeff et Catherine, c’est deux artistes exceptionnels et un couple, et ils me prenaient dans leurs bras. Avec eux, ça pouvait se faire. »

Au bon moment

Et ça s’est fait, dans le courant de l’an dernier. Se sont greffés des amis fidèles, un Nelson Minville avec qui elle avait suivi un atelier d’écriture, un Manuel Tadros là depuis pas mal d’années, un Richard Séguin côtoyé jusqu’à Saint-Venant-de-Paquette, d’où elle est repartie avec deux chansons. Paul Piché a chanté l’une d’elles, Comme tu es. « Il l’a testée avant, et puis il a dit oui. Moi, je voulais chanter avec des gars de cet âge-là. L’accès émotionnel qu’un Paul Piché te donne. Il n’a pas peur de ça. J’avais envie de chanter avec des hommes qui sont pas loin de mon âge. Ça compte, l’âge, dans ce projet. »

« Je ne pense pas que j’aurais fait cet album il y a dix ou quinze ans. Ça va au-delà de la part de vécu dans les textes. Ce n’est pas une autobiographie. Ce sont des chansons. Le contenu est au service de la forme. Et c’est donné par une femme qui arrive à la fin de la cinquantaine. »

C’est peut-être le temps qu’il faut pour comprendre que si l’on est inspiré par sa propre vie, si l’on a des carnets de notes plus que personnels, il faut trouver la manière de toucher plus que ses proches : les meilleures chansons parlent au plus grand nombre. « Dans Les cendres de nos étés, je parle à ma mère qui est au ciel. Elle a été là dans toutes les saisons de ma vie. Au départ, ça s’appelait Mes saisons. Mes saisons à moi. Mais j’ai compris qu’il fallait une certaine distance. Je reconstruis les saisons de LA vie, comme je la perçois, mais comme je la partage. La chanson Rosie, ça parle de ma tante Rose, la sœur de ma mère, qui a 85 ans et qui a perdu son mari l’an dernier, et sa vie a chaviré. Ça parle d’elle, mais aussi de tous les chavirements que l’on va vivre. On a tous nos morts. »

Une ligne ressort fortement de cette chanson : « La mort ne dure pas toujours ». Exclamation de Marina au bout du fil. « Ça, c’est ce que Jeff ajoute. C’est le géant des mots, qui a su porter mon propos. C’est ma chanson, avec la coche de plus. C’est ça, se sentir compris. Et c’est grâce à ça qu’on peut se faire entendre au-delà de soi. C’est le vrai bonheur de travailler de près avec des créateurs de cette qualité. On se touche pour vrai. »

Reconstruire les saisons

Marina Orsini, LPMO inc. / Musicor

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