Du mariage gai à la non-binarité
Déjà 25 ans depuis l’an 2000. L’équipe éditoriale du Devoir vous propose un regard à la fois caustique et porteur d’espoir, dans la mesure du possible, sur les grands événements et tendances qui ont façonné ce premier quart de siècle. Aujourd’hui : l’union entre conjoints de même sexe.
Les jeunes qui se passionnent aujourd’hui pour l’identité de genre ne réalisent pas à quel point la marche vers le progrès fut intense dans le dernier quart de siècle. Reportons-nous en 1999 pour revisiter la motion adoptée à 216 voix contre 55 à la Chambre des communes, grâce à l’appui des libéraux de Jean Chrétien. Le texte confirmait que le mariage devait demeurer « exclusivement l’union d’un homme et d’une femme », exhortant les élus fédéraux à prendre toutes les mesures voulues pour préserver cette définition.
Nous ne parlons pas ici d’une motion adoptée au temps des calèches, mais d’un acte politique fait en toute connaissance de cause, alors que les revendications pour les droits des conjoints de même sexe s’amplifiaient dans le débat public. Cette lutte eut plusieurs porte-étendard, que l’espace ingrat d’un seul éditorial ne permet pas de tous nommer. Signalons tout de même les efforts précurseurs du député bloquiste Réal Ménard, qui avait présenté un projet de loi pour la reconnaissance des conjoints de même sexe dès 1995, ou encore le député néodémocrate Svend Robinson, qui en avait fait autant à plus d’une reprise au début des années 2000.
C’était l’époque où les personnalités publiques étaient encore nombreuses à demeurer « dans le placard ». Un coming out était encore une nouvelle, mais l’outing de la part d’humoristes incisifs ne suscitait guère plus que des rires gras. Le coup de tonnerre initial viendra de la Cour suprême du Canada. Dans l’arrêt M. c. H, prononcé en 1999, elle reconnaît l’union de fait des conjoints de même sexe sans leur accorder le droit au mariage. Le début du XXIe siècle sera marqué par une succession de contestations devant les tribunaux supérieurs, en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique, à l’issue desquels le gouvernement fédéral, détenteur de la compétence sur le mariage, est forcé de légiférer.
Les interdits tombent les uns après les autres au fur et à mesure que les tribunaux effacent les prohibitions qui étaient encore basées sur les relents de la morale judéo-chrétienne. Finalement, en 2005, le premier ministre minoritaire, Paul Martin, et son ministre de la Justice, Irwin Cotler, accouchent de l’un de leurs plus beaux legs avec la Loi sur le mariage civil, qui étend cette institution fondamentale aux conjoints de même sexe.
Sur le plan politique, ce n’est pas complètement la fin de l’histoire. Il faudra attendre encore dix ans pour que le Parti conservateur reconnaisse enfin l’union entre conjoints de même sexe, lors de son congrès de mai 2016. Égalité ne veut pas nécessairement dire normalité. Au nom du droit à la liberté de religion, nous tolérons encore des discours qui vont totalement à l’encontre du droit à l’égalité. Cela vaut autant pour les propos racistes, misogynes, homophobes, antisémites et islamophobes.
Le Bloc québécois a donné un coup de pied dans le guêpier avec le dépôt d’un projet de loi visant à abroger l’exception sur le discours haineux dans le Code criminel. Ce projet de loi, visant à renforcer la laïcité de l’État dans le contexte québécois, a reçu un accueil plutôt tiède du gouvernement Trudeau. Les libéraux estiment que le Canada dispose de lois « extrêmement fortes » pour agir contre la haine. La jurisprudence de la Cour suprême a par ailleurs balisé avec soin la ligne de démarcation entre le discours haineux et le discours protégé par la liberté d’expression. Le débat n’est pas clos pour autant, surtout dans un climat de polarisation et de détérioration des conditions du vivre-ensemble.
Quoi qu’il advienne de futures initiatives législatives, la mesure de leur succès sera toujours corrélée avec la capacité de l’État de les faire respecter. Le taux de judiciarisation des crimes haineux, qui sont en augmentation vertigineuse, n’est guère reluisant à l’heure actuelle. C’est à se demander s’il le serait davantage si la liste des actes répréhensibles était étirée.
Les avancées s’accompagnent paradoxalement d’un effet de ressac. Environ un crime haineux sur dix est motivé par l’orientation sexuelle au Canada. Les gais et lesbiennes en font majoritairement les frais, loin devant les autres composantes du sigle LGBTQ+.
Bon an mal an, dans le cadre de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, des organismes tels que la Fondation Émergence ou la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l’UQAM sonnent l’alarme sur la détérioration du climat social. L’homophobie s’exprime de façon ouverte et décomplexée. Les acquis d’hier ne garantissent pas la sécurité de demain, tant pour les gais et les lesbiennes que pour les trans. Ne perdons pas de vue l’importance de défendre leurs droits, encore et toujours, dans une optique de protection des libertés civiles.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.