Manu et Justin, la fin d’une époque
Ils avaient tous deux le même élan juvénile. Il fallait les voir défiler sous les lauriers roses devant la mer étale, le sourire aux lèvres comme s’ils étaient en voyage de noces. Le 26 mai 2017, Emmanuel Macron rencontrait pour la première fois Justin Trudeau au Sommet du G7 à Taormine, en Sicile. La presse était conquise et saluait la fraîcheur de ces jeunes dirigeants qui prenaient des selfies avec les autochtones. Tout leur semblait promis.
Emmanuel Macron était élu depuis 19 jours à peine et débarquait avec l’aura du jeune génie de la finance, auteur d’un livre appelé Révolution, qui allait tout changer. Trudeau n’était aux affaires que depuis un an et demi et surfait encore sur ce que certains avaient qualifié de « Trudeaumania », en référence à son père.
Avec à peine six ans de différence, Macron et Trudeau avaient plus que des atomes crochus. Nés sur deux continents différents dans des milieux aisés, ils ont eu des parcours étonnamment semblables. Ils ont tous deux étudié chez les Jésuites, le premier au lycée La Providence d’Amiens, le second au collège Jean-de-Brébeuf, où ils firent tous deux du théâtre. Le premier poussera cette passion jusqu’à épouser sa professeure, alors que le second se contentera de manière plus prosaïque de donner des cours d’impro.
Le premier était issu du monde de la finance, où il n’avait joué jusque-là qu’avec des concepts abstraits, vendant, achetant ou fusionnant des entités sans âme ni personnalité. Il n’avait jamais rencontré un électeur de sa vie. D’ailleurs, au premier qu’il rencontrera, il ordonnera de traverser la rue pour se trouver un emploi. Avec son profil d’éternel adolescent, le second était né avec une cuillère en argent dans la bouche. Un capital qu’il n’avait jusque-là pas vraiment fait fructifier, se contentant d’études banales et de petits emplois.
Mais tous deux avaient des réseaux, le premier dans la finance, le second dans l’État profond, à cause de son père. Cela leur permettra d’accéder rapidement aux plus hautes fonctions. Le premier aura la chance extraordinaire que le favori de l’élection de 2017, François Fillon, soit opportunément visé par une enquête en pleine campagne. Le second fut propulsé premier ministre grâce à l’effondrement soudain et inattendu du chef du Nouveau Parti démocratique Thomas Mulcair. Si le premier s’est toujours complu dans un langage technocratique, le second a toujours pratiqué un dialecte approximatif, signe d’un mépris envers la langue des Québécois et d’un étonnant vide intellectuel.
Mais c’est sur le plan politique que leur parcours se rejoint le plus. « Je suis totalement aligné avec Emmanuel Macron », avait déclaré Justin Trudeau au journal Les Échos lors de sa première visite officielle en France. Sans réaliser évidemment que l’on n’est pas « aligné avec », mais « sur », et que cela revêt toujours un parfum de soumission.
Ces deux progressistes partisans d’une mondialisation tous azimuts arrivaient malheureusement sur la scène politique avec un peu de retard, alors que celle-ci avait déjà du plomb dans l’aile. Eussent-ils été élus au début des années 1980, lorsque la mondialisation promettait mer et monde, que leur destin eût été différent. Malgré leur jeunesse, ils deviendront vite les représentants tardifs d’un système vieillissant qui n’a cessé depuis de se déliter.
Il n’est pas exagéré de voir en eux les derniers représentants de cette mondialisation heureuse où l’ouverture des frontières n’était pas encore synonyme de désindustrialisation, de chômage, de paupérisation, d’immigration massive et d’insécurité. C’en serait bientôt fini des nations, proclamaient-ils. « Il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse », soutenait Emmanuel Macron, pour qui la France n’avait (et n’a toujours) d’autre horizon que de se dissoudre dans l’Europe.
Son vis-à-vis canadien se voyait déjà à la tête du « premier État postnational » du monde. L’immigration massive étant censée accélérer ce processus de dissolution des nations, celle du Québec tout particulièrement. Pas surprenant non plus que, malgré le maintien d’une certaine tradition diplomatique, le Québec ait souvent fait tapisserie à Paris depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Là-dessus, les deux hommes se sont toujours entendus.
Malheureusement pour eux, les nations ont la vie dure et le rêve d’un monde sans frontières semble aujourd’hui s’éloigner. Dès le début de leurs mandats, les désillusions sont apparues. Pour Macron, ce fut la révolte des Gilets jaunes, ce peuple en colère contre une technocratie mondialisée et hors sol. Avec son rêve utopique de 500 000 immigrants par année d’ici 2025 et son appel aux réfugiés du monde entier, Trudeau s’est aussi heurté à un mur.
Se pourrait-il qu’on change d’époque ? Un signe ne trompe pas : on ne se bousculait pas cette année au sommet de Davos, cette mecque des mondialistes de gauche comme de droite où Trudeau et Macron étaient comme des poissons dans l’eau. Le camp dit « de la raison » n’a plus la cote. Peut-être parce que son individualisme forcené a ouvert la porte aux aberrations wokistes et au rêve délirant d’un homme sans nation, sans famille et sans sexe livré au marché, comme ce dieu vivant qu’est devenu l’immigré.
Les deux hommes auront été l’ombre l’un de l’autre jusque dans la chute. Avant d’être « démissionné », Trudeau dirigeait un gouvernement minoritaire depuis 2019. Quant à Emmanuel Macron, seuls les pouvoirs de la Ve République lui permettent encore de demeurer président. Sans majorité au Parlement, il n’a même pas pu choisir son premier ministre et les deux ans qui restent s’annoncent interminables.
Qu’il est loin, le soleil de la Sicile…
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.