Manifestations sous tension à Québec

Des policiers en tenue antiémeute patrouillent autour de l’Assemblée législative du Québec, où des milliers de personnes manifestaient contre les restrictions liées à la COVID-19, à Québec, en 2022.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Des policiers en tenue antiémeute patrouillent autour de l’Assemblée législative du Québec, où des milliers de personnes manifestaient contre les restrictions liées à la COVID-19, à Québec, en 2022.

Le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) s’arroge un « pouvoir démesuré » dans le déroulement des manifestations, dénoncent plusieurs organismes communautaires de la capitale. En cause, selon eux : un règlement adopté l’an dernier qui ouvre « toutes sortes de brèches » et met à mal le droit fondamental de s’exprimer et de se mobiliser.

Le 1er juin, une centaine de manifestantes se faisaient entendre devant le parlement en marge d’un rassemblement organisé par la campagne Québec-Vie. « À peine cinq minutes après leur arrivée, déplore le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (RGF-CN), une travailleuse s’est fait violemment maîtriser et remettre une contravention pour avoir traversé la rue. »

« Pourquoi cette contravention alors que la rue était fermée à la circulation ? » s’interroge la manifestante mise à l’amende, Anne-Valérie Lemieux Breton.

Le 15 septembre, le Comité logement d’aide de Québec Ouest (CLAQO) organisait un convoi pour visiter, à bord d’un autobus, le « Far West pour les locataires » qu’est devenu, selon l’organisme, le secteur de Sainte-Foy.

« Nous étions à peine une vingtaine. Pourtant, trois voitures de patrouille et une quinzaine de policiers ont été déployés pour nous suivre », dénonce Charles-Olivier P. Carrier, un organisateur du CLAQO. « Je vous garantis que l’ensemble des participants et des participantes ne se sentait pas en sécurité. »

Une récente manifestation « festive et familiale » n’a pas échappé non plus à la vigilance du SPVQ. Le 18 septembre, quelques dizaines de personnes, dont des enfants et des personnes à mobilité réduite, se rassemblaient aux abords d’une école pour réclamer une meilleure sécurité dans la rue Marie-de-l’Incarnation, une artère de quatre voies où les automobilistes désobéissent quotidiennement aux limites de vitesse en zone scolaire.

« Quelques minutes avant le début de la marche, deux policiers sont intervenus pour dire aux manifestants et aux manifestantes de rester sur le trottoir et que toutes les personnes qui marcheront dans la rue recevront une contravention, explique Naélie Bouchard-Sylvain, du Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches (REPAC). Cela venait miner le message et un des moyens d’expression des protestataires : l’occupation, par des piétons et des piétonnes, de l’espace réservé aux voitures. »

Encore cette semaine, les débardeurs du Port de Québec, en lockout depuis plus de deux ans, dénonçaient la « répression policière abusive » déployée à l’occasion d’une manifestation où le SPVQ aurait exigé, selon Frédéric Brisson, du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), de se cantonner aux passages piétons.

Un règlement décrié

Toutes ces interventions policières puisent à la même source : le règlement 2817, adopté en 2023 par le conseil municipal. Celui-ci vise à « assurer la sécurité des personnes » lors de rassemblements sur la voie publique, « dans le respect des droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique. »

Il prévoit que « toute personne doit, lors d’un rassemblement sur la chaussée de la voie publique, obtempérer à un ordre d’un policier qui lui demande de se déplacer de l’endroit où elle se trouve pour des motifs de sécurité ».

Ce règlement succédait à son ancêtre, le 19.2, adopté dans la foulée du Printemps érable, pour être ensuite jugé inconstitutionnel par la Cour d’appel en 2019.

Dès son origine, le nouveau règlement 2817 a été l’objet de contestations d’organismes de Québec. « Nous l’avons contesté dès son dépôt », explique Josyanne Proteau, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés section de Québec. « Pour nous, il s’agissait clairement d’une volonté politique de contrôler la façon dont la liberté d’expression peut s’exercer dans l’espace public. »

Depuis un an, elle observe « clairement une escalade » entre le SPVQ et les manifestants et les manifestantes de Québec. « Les manifestations doivent de plus en plus souvent se dérouler sur le trottoir au nom de la sécurité, observe Josyanne Proteau. Si le SPVQ manque de personnel pour encadrer correctement les rassemblements dans la rue, ce n’est pas une raison pour brimer la liberté de manifester de la population. »

« Non seulement le règlement est problématique en lui-même, mais les policiers ne le respectent même pas, déplore Naélie Bouchard-Sylvain, du REPAC. Même quand nous donnons l’itinéraire d’une manifestation, la police se permet de changer le chemin à la dernière minute, de nous presser dans le temps… Le SPVQ se permet de décréter que si nous ne sommes pas 50 ou 200, nous ne pouvons pas prendre la rue. C’est complètement arbitraire ! »

Le SPVQ défend son action et souligne que ses policiers respectent le droit fondamental de manifester garanti par la Charte des droits et libertés de la personne.

« Notre mission est principalement de faciliter et de protéger le droit de manifester légalement et pacifiquement », écrit-il en réponse au Devoir. Elle consiste aussi, ajoute le courriel, à « limiter la portée des entraves à la circulation et à la vie économique ».

« Nous avons confiance »

Plusieurs organismes avaient déjà porté leurs doléances aux portes de l’hôtel de ville, le 18 juin dernier, pour demander l’abrogation du règlement. Ils prévoient de se faire entendre à nouveau le 1er octobre prochain.

L’administration en place refuse de céder à leur demande. Ce règlement, assure la conseillère responsable des dossiers policiers, Marie-Josée Asselin, cherche d’abord et avant tout à assurer la sécurité de la population.

« Le règlement ne s’applique pas différemment en fonction des causes défendues ou des gens qui les portent, assure-t-elle. Nous voulions un règlement qui, justement, s’appliquait également à tout le monde, que ce soit des camionneurs sur la colline parlementaire ou des familles à proximité d’une école. »

Maintenant que plusieurs organismes dénoncent un règlement qui les décourage à se mobiliser et à faire entendre leur voix, l’administration n’entend pas modifier son approche. « Personne ne voudrait d’une ville où ce sont les politiciens qui dictent aux policiers comment faire leur travail, croit-elle. Nous avons confiance en notre service de police, ses agents ont des formations pour ça et ils encadrent sans problème environ 300 manifestations chaque année. »

Aux yeux de Josyanne Proteau, cependant, le politique ne peut pas se « dédouaner » d’un règlement « qui ouvre toutes sortes de brèches » dans les libertés constitutionnelles.

« La Ville, conclut-elle, a une responsabilité vraiment claire là-dedans. Je ne pense pas qu’elle peut se déresponsabiliser. »

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