La mairesse de Gatineau, France Bélisle, démissionne

France Bélisle démissionne de la mairie pour «préserver sa santé» et son «intégrité», dit-elle.
Photo: Sean Kilpatrick Archives La Presse canadienne France Bélisle démissionne de la mairie pour «préserver sa santé» et son «intégrité», dit-elle.

La mairesse de Gatineau, France Bélisle, démissionne pour « préserver sa santé » et son « intégrité », quittant un contexte politique qu’elle qualifie d’« hostile ». Le conseiller municipal Daniel Champagne prendra sa suite.

« Je me suis beaucoup questionnée sur le prix à payer pour accomplir ce travail exigeant dans un contexte, disons-le, qui est souvent hostile », a-t-elle déclaré jeudi en conférence de presse, peinant à retenir ses larmes. « Cette démission, c’est le résultat d’un système politique qui se déploie dans un environnement social où on est malheureusement devenus acteurs et témoins d’une intimidation publique devant laquelle on ne s’insurge pas. »

« Bien des raisons poussent un élu à partir », a-t-elle ajouté, citant notamment « la désillusion, l’intimidation, les ressources insuffisantes », ou encore « la pression intense ». L’élue a également déclaré avoir reçu « des menaces de mort par certains membres du public ». Elle ne veut pas non plus que son « nom soit associé » à des décisions qu’elle voit « malheureusement […] poindre à l’horizon ». 

Prenant pour exemple les congés maladie de ses homologues de Trois-Rivières et de Sherbrooke ainsi que le malaise de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, subi en décembre dernier, Mme Bélisle a déclaré vouloir « préserver sa santé pour l’avenir, parce que la vie politique nous hypothèque ».

En 2021, plusieurs médias ont rapporté que la mairesse de Gatineau avait été accusée par d’anciens employés de Tourisme Outaouais d’avoir entretenu un climat de travail toxique lorsqu’elle était à la tête du centre d’information touristique. Des allégations qu’elle a toujours niées, se disant victime d’une campagne de salissage à quelques semaines des élections.

Un élu municipal sur dix est parti

Depuis les élections municipales de septembre 2021, près d’un élu sur dix a quitté son poste, selon Élections Québec. Cet « exode » de 741 politiciens, « du jamais vu dans la province », suscite trop « peu de questionnements sur le fond », déplore Mme Bélisle, qui appelle le gouvernement du Québec à entreprendre « rapidement une analyse ». « Il y a urgence […]. Si on veut une relève pour le service public, il faut lui redonner ses lettres de noblesse. Sinon, qui va mettre son visage sur une pancarte ? »

« En prenant la parole aujourd’hui, France Bélisle lance avec courage un appel à la réflexion collective auquel nous avons l’obligation, comme société, de répondre », a déclaré par voie de communiqué l’Union des municipalités du Québec (UMQ). « Les cas de harcèlement et d’intimidation envers et entre les élues et élus municipaux ne cessent d’augmenter. »

Alors qu’elle terminait un tour dans le secteur du Village pour rencontrer ses commerçants, Valérie Plante a réagi « à chaud » à la démission de sa « collègue précieuse », avec qui elle a notamment travaillé sur la question de l’itinérance. « France fait partie de la nouvelle génération de maires et mairesses aussi, donc ça m’amène quand même aussi à me questionner sur… J’espère seulement que c’est rien, qu’elle est en santé puis qu’elle va bien », a-t-elle ajouté, confirmant que « le climat social n’est pas facile ». 

Sur X, le maire de Québec, Bruno Marchand, a quant à lui salué son « amie » et « alliée », qui « ne laissait personne indifférent ». 

Mme Bélisle avait fait réagir en septembre dernier en affirmant qu’elle faisait la « job » du ministre québécois responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, dans le dossier de l’itinérance. Une déclaration qualifiée d’« injuste » par le caquiste. Le premier ministre François Legault a tout de même souhaité à France Bélisle « le meilleur pour la suite », la remerciant pour « ses années de service ».  

Des mesures qui ne suffisent pas 

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a affirmé que le gouvernement avait posé des gestes pour venir en aide aux élus municipaux et qu’il revenait maintenant aux conseils municipaux d’agir. « Notre gouvernement fait sa part pour soutenir les élus dans leurs fonctions. Maintenant, il est important que certains changements s’opèrent de l’intérieur des conseils avec une volonté sincère et au bénéfice des citoyens. Au final, ce sont eux qui en payent le prix », a-t-elle écrit sur le réseau X.

Le responsable de Québec solidaire en matière d’affaires municipales, Etienne Grandmont, juge quant à lui que « la CAQ n’en fait pas assez pour protéger les personnes élues qui oeuvrent dans les gouvernements de proximité », appelant à ce que la situation change « rapidement ».

En 2021, Québec avait instauré 11 mesures pour contrer l’intimidation et le harcèlement en ligne des élus municipaux, dont une formation destinée aux élus et une campagne de publicité. Et en juin dernier, une couverture d’assurance propre aux situations de harcèlement, d’intimidation et de violence subies par les élus et les employés municipaux avait été mise sur pied pour financer les actions judiciaires intentées par les victimes. Ce programme était doté d’une enveloppe de 2 millions de dollars.

La mairesse de Granby, Julie Bourdon, estime que la démission de France Bélisle et celles de bien d’autres élus municipaux avant elle démontrent que les mesures en place ne suffisent pas. Au sein de l’UMQ, Mme Bourdon préside un comité sur la démocratie municipale qui compte, dès la semaine prochaine, proposer des mesures concrètes pour épauler les élus. « Il faut valoriser le rôle des élus », soutient la mairesse Bourdon.

« Il y a des élus isolés, en détresse, qui vivent des situations difficiles. Je pense que collectivement, il faut voir ce qu’on peut faire de plus. […] On a vu le cas de citoyens qui sont allés cogner chez les maires et les mairesses pour leur dire des bêtises. On est rendus où ? » dit-elle, tout en insistant sur le fait que dans de nombreuses municipalités, la situation n’est pas aussi tendue. Reste que les élus municipaux font face à de nouveaux problèmes comme l’itinérance, les changements climatiques, les inondations et les feux de forêt qui sont susceptibles de créer des tensions dans leurs communautés, souligne-t-elle.

Avec Jeanne Corriveau

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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