Maï(g)wenn et les Orteils: 15 ans de gigue contemporaine et d’artistes neuroatypiques

Le spectacle «Les dauphins et les licornes» de la troupe Maï(g)wenn et les Orteils.
Photo: David Wong Le spectacle «Les dauphins et les licornes» de la troupe Maï(g)wenn et les Orteils.

Fondée en 2009, la compagnie Maï(g)wenn et les Orteils s’est donné pour mission d’offrir une place aux artistes neuroatypiques, sur les scènes d’ici et de partout dans le monde. Combinée à cette particularité, la gigue contemporaine trouve aussi toujours sa place dans les créations de la compagnie, et ce, depuis ses débuts. La créatrice derrière tout ça, Maïgwenn Desbois, espère que les artistes de la compagnie « continueront de briller » dans les 15 prochaines années.

« J’ai eu un coup de foudre chorégraphique, une véritable épiphanie, quand j’ai rencontré Anthony Dolbec en 2008. C’est la première fois que j’ai eu envie de créer une pièce, un duo », se souvient Maïgwenn Desbois, qui travaillait alors à l’organisme Les muses, un centre des arts de la scène qui forme les artistes de la neurodiversité, depuis 2003. À cette époque, Mme Desbois est en contact avec le directeur général et artistique de la Biennale de gigue contemporaine, Lük Fleury, qui lui propose de chorégraphier une courte création de neuf minutes. Un style qu’elle avait découvert lorsqu’elle était étudiante libre en danse contemporaine à l’UQAM.

« [Ma collègue] Marie-Soleil Pilette trippait sur la gigue traditionnelle québécoise, et elle m’a proposé “veux-tu apprendre ?” J’avais fait un peu de claquette, je pensais que ça allait être un peu semblable, mais finalement, pas du tout ! La gigue qu’elle faisait était mélangée à la danse contemporaine et c’était un sport extrême, avec une rigueur intense pour le rythme. Ça m’a donné la piqûre », poursuit la créatrice de la compagnie qui dansera pour Mme Pilette près de huit ans.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Maïgwenn Desbois, fondatrice de la troupe de danse «Maïgwenn et les Orteils»

C’est donc tout naturellement que Maïgwenn Desbois intègre, dès la première création de la compagnie, la gigue. « Je me suis rapidement demandé comment aller au-delà de la couche rythmique produite par le corps, transformer la gigue en langage expressif fort, en langage de la neurodiversité », raconte-t-elle.

Ainsi, la chorégraphe a toujours intégré la gigue dans les créations de la compagnie, mais s’adapte aux artistes. « Anthony [Dolbec] est autiste et a une grande facilité avec le rythme ; Gabrielle Marion-Rivard a l’oreille absolue, donc les deux trios qu’on a créés ensemble, c’était assez facile pour eux de danser la gigue. Quand Roxane [Charest-Landry] s’est jointe à la compagnie, c’était plus difficile, mais on a décidé de mettre des segments de tapages de pieds, qu’on retrouve dans la gigue traditionnelle. On trouve toujours une façon de twister l’affaire pour y mettre de la gigue », s’amuse la fondatrice de la compagnie.

Ce fut en effet tout un défi pour Mme Charest-Landry, qui est finalement elle aussi tombée sous le charme de ce style. « J’ai toujours fait de la danse, depuis toute petite, mais je n’avais jamais fait de gigue avant d’entrer dans la compagnie de Maïgwenn. Je ne suis pas devenue une experte, mais j’ai une bonne base maintenant, c’est plus clair dans mon corps. En plus, mélangé au contemporain, je trouve ça beau, j’aime ça m’exprimer avec la gigue et apprendre de nouveaux pas. Certains sont incroyables ! » se rappelle l’interprète qui a intégré la compagnie en 2015 et qui vit avec un syndrome de l’X fragile.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Des membres de la troupe de danse

Un autre bon exemple de l’adaptation de la gigue aux différents artistes est celui de la toute dernière création de la compagnie. Lors de la création des Dauphins et les licornes, Marianne Cyr, qui vit avec une trisomie 21 et dont les pieds pointent vers l’intérieur, n’arrivait pas à giguer et répétait sans cesse : « J’ai les pieds croches ! » Finalement, cette scène improvisée en studio fait finalement partie de la version finale du spectacle. « Elle montre ce qu’elle peut faire et c’est ça qu’on cherche : récupérer des petites perles comme celles-ci. On adapte la gigue aux artistes. On la danse pieds nus, avec des bottes d’armées, des Dr Martens, en bas. La gigue est un langage et on l’utilise avec les forces et les capacités de chacun », décrit Mme Desbois.

En plus de faire partie des créations, la gigue a aussi été intégrée comme entraînement pour les artistes de la compagnie depuis 2010. « Depuis deux ans, nous offrons annuellement environ une cinquantaine d’heures de classe de danse de perfectionnement adapté en gigue, en hip-hop et en contemporain », explique la chorégraphe.

Vérité de mouvements

« J’arrive le plus souvent avec une thématique ou des images, mais j’aime ça partir des artistes en tant que tels, me laisser inspirer de leur façon atypique de bouger, de penser. J’ai besoin d’eux pour créer une pièce », explique Maïgwenn Desbois. Qu’elle décide d’utiliser la gigue ou d’autres styles de danse, Mme Desbois s’intéresse avant tout à « la vérité du mouvement ». « Mon rôle, c’est de valoriser comment [les danseurs] bougent naturellement, de mettre en scène des imperfections, du mouvement qui est vrai, authentique, vraiment vécu par l’artiste. Après, on fait des choix, on le répète et on organise le spectacle », poursuit-elle.

Cette collaboration entre les artistes et la directrice de la compagnie est d’ailleurs très appréciée par Roxane. « Elle arrive avec une vision, propose des improvisations avec un thème ou des contraintes, mais c’est toujours à notre sauce. Même si elle nous montre une base, un mouvement, on le met à notre façon. Si ça marche avec ce qu’elle pense, on travaille plus, on creuse. Si ça marche moins, on enlève. Des idées fusionnent souvent », décrit-elle.

C’est cette harmonie et cette écoute mutuelle qui passionnent Mme Desbois depuis les 15 dernières années. « J’aime ça être déstabilisée. J’ai plein d’idées, mais eux me ramènent sur Terre. Je pensais qu’on allait à droite, et finalement, ils m’amènent complètement de l’autre bord. Leur compréhension des consignes est totalement différente et c’est ça qui est magique. Voilà de la création neurodivergente », se réjouit la créatrice.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Pour Maïgwenn Desbois, ce spectacle anniversaire montre bien «la force du groupe».

Pour sa nouvelle création, Les dauphins et les licornes, la compagnie se penche sur la place de l’apparat dans nos sociétés et sur l’importance de l’ouverture, de la vulnérabilité de chacun. « On veut séduire, ne pas montrer notre fragilité, mais en même temps, être fragile ne veut pas dire être faible. Montrer ses faiblesses est une force, une façon de briller, de montrer notre lumière. Le spectacle parle aussi de l’importance de demander de l’aide, sans honte, et d’apprendre à se connaître et à s’assumer », élabore Roxane Charest-Landry qui se souhaite encore d’être sur scène dans les 15 prochaines années si elle « a encore cette flamme, ce besoin de partager ses émotions, ses ressentis ».

Pour Maïgwenn Desbois, ce spectacle anniversaire, qui prendra vie sur scène en 2025, montre bien « la force du groupe ». « Je souhaite que ce spectacle, et que toute la compagnie continue à vivre. Mais pour ça, il faut que l’argent public reconnaisse les besoins atypiques de nos artistes et leur calibre professionnel, conclut-elle. Je veux qu’on explose la petite boîte dans lequel on enferme encore ces humains qui, avec l’art, sont bien dans leur peau et plus acceptés. Ils nous permettent aussi à nous, neurotypiques, d’être de meilleures personnes. »

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