Loui Mauffette, artiste du vertige

Loui Mauffette (à droite) et Maxime Denommée, un des interprètes du spectacle.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Loui Mauffette (à droite) et Maxime Denommée, un des interprètes du spectacle.

Près d’une décennie après la fin du cabaret Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent (2006-2016), Loui Mauffette revient avec un nouveau spectacle intitulé Ô loup ! et autres palpitations poétiques, une œuvre plus intime où il replonge dans son enfance.

Rencontré entre deux répétitions, le comédien et metteur en scène Loui Mauffette se dit fébrile à l’aube de remonter sur scène : « C’est le show le plus impudique que j’ai fait depuis mes débuts, en 2006. Je me raconte vraiment : les trips de drogue, le manque d’amour, l’homosexualité, la petite école, qui a été très dure pour moi, et le secondaire, qui a été le paradis, parce que je montais des pièces de théâtre — j’étais le roi. »

L’homme, particulièrement en verve, revient sur la genèse de ses premiers spectacles poétiques. À sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Loui Mauffette est traversé par un violent trou de mémoire tandis qu’il est sur les planches. Il est alors terrifié à l’idée de remonter sur une scène : « Dans le spectacle Ô Loup !, j’explique pourquoi j’ai les textes dans les mains. Après mes violents trous de mémoire, j’ai décidé que je ne pouvais plus jouer. […] Et donc par hasard, sans chercher, sans le vouloir, je suis devenu attaché de presse. » Aux funérailles de son père, l’ancien animateur de radio Guy Mauffette, il a une illumination : « À l’église, on m’a demandé de lire le texte “Je crois que”, un autoportrait de mon père. Je n’avais pas envie de remonter sur scène. Mais j’avais mon texte dans les mains, et tout s’est bien passé. Puis j’ai eu un flash terrible à l’église. » Ce « flash », c’était celui qui le mènera plus tard à faire des cabarets poétiques, textes en main : « Ce jour-là, j’ai trouvé le truc : je vais lire mes textes, je vais les apprendre bien sûr, je vais les manger, les gober, mais ils agiront comme un flotteur, un appui. »

Anges gardiens

Loui Mauffette se décrit comme un intempestif qui a rencontré des anges au cours de sa carrière. Ces anges lui ont permis de canaliser son énergie. Il cite notamment Diane Dufresne, mais aussi Patricia Nolin, qui a joué un grand rôle pour la recherche des textes dans ses spectacles. Maxime Denommée est aussi l’un de ses collaborateurs depuis la première heure. Ils forment, grâce à leurs forces différentes, un duo complémentaire : « Loui a une imagination débordante, c’est un épicurien, un artiste qui est dans les sensations. Ce ne sont pas tous les acteurs-actrices qui décodent ce langage, qui ont ce vocabulaire-là, donc parfois je sers aussi d’“interprète” », raconte le comédien.

Le spectacle fait intervenir toute une communauté de personnages littéraires et musicaux : « Tout ça part de son enfance, parce que son père, Guy Mauffette, avait toujours des invités, comme Félix Leclerc et Gilles Vigneault. Loui, pendant ce temps-là, il se cachait en dessous de la table ! C’est ça qu’il essaie de nous faire partager. » Le spectacle, créé dans un esprit de collégialité, prend la forme d’une fable où figure un personnage qui crie constamment au loup : « Ô Loup, c’est le petit garçon, c’est le petit Loui à 5 ans, un peu perdu, mais aussi heureux dans le milieu familial parce qu’il y a du rêve, parce qu’il y a des choses qui ne se peuvent pas par rapport à la réalité. À 67 ans, l’âge que j’ai maintenant, je crie “au loup”, mais les gens ne viennent plus parce que j’ai trop crié “au loup” dans ma vie. Je suis un émotif, un intempestif, un sanguin ! »

Émotion brute, mais accessible

Accompagné de quatre comédiens, Louise Turcot, Maxime Denommée, Gilles Renaud et Catherine De Léan, l’artiste explore dans sa dernière création les thèmes de la solitude et de la mort dans une partition explosive : « Au moment où on pense qu’on va rentrer dans quelque chose, souvent, des fois, je crée des cassures. C’est comme un climat. C’est comme un après-midi, on est à la campagne, on fait un pique-nique, il y a des nuages. Oh, ça mouille. Après ça, le soleil revient. » Un spectacle qui promet de faire passer du rire aux larmes, dixit le metteur en scène.

Loui Mauffette, du reste, n’aime pas les spectacles linéaires. Il préfère raconter une histoire par fragments, par courts épisodes, qui deviennent presque des hallucinations. L’artiste insère des ruptures dans ses partitions et cherche à attirer le regard vers l’invisible. À provoquer des vertiges dans la salle.

Si ces palpitations poétiques ne sont pas totalement improvisées, elles laissent tout de même une marge de manœuvre aux interprètes, qui ont très peu répété leur partition : « Ça nous garde sur le qui-vive, explique Maxime Denommée. La première fois que j’ai fait le cabaret, je me souviens très bien du vertige que j’ai ressenti. Ça nous oblige à être très à l’écoute, à être dans un lâcher-prise, un abandon. On n’a pas le choix, on n’a pas 150 heures de répétition. C’est ça qui crée l’espèce de vie. Le côté happening vient aussi de ça, du danger où tout peut arriver. “Sauve ta peau” ! »

Le comédien insiste sur l’émotion qui se dégage du spectacle : « Ce qui est beau de Loui, c’est qu’il se met vraiment à nu. Juste le fait de se livrer comme ça, ça touche vraiment les gens. Il a beaucoup de charisme quand il lit de la poésie. On dirait qu’il est branché sur le cœur. » La poésie agit ici comme un phare qui éclaire ponctuellement son histoire personnelle : « Je vais raconter mes histoires, puis, entre ces histoires-là, je choisis des poètes qui me touchent, qui entrent dans mon univers de l’enfance et de l’adolescence, ou qui évoquent mon côté trash, mon côté rebelle, mon côté gladiateur. » Le spectateur pourra entendre des textes de Marguerite Duras, jusqu’à Camille Readman Prud’homme en passant par Aimé Césaire, le tout accompagné d’une composition musicale de Guido Del Fabbro.

Ô loup ! et autres palpitations poétiques

De Loui Mauffette. Avec Loui Mauffette, Louise Turcot, Maxime Denommée, Gilles Renaud, Catherine De Léan. À la Cinquième Salle de la Place des Arts, du 6 au 8 février ; au théâtre Alphonse-Desjardins, le 4 mars ; à la salle Jean-Louis-Millette, à Longueuil, le 11 mars et au Grand Théâtre de Québec, le 2 avril.

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