La tentation impériale

Portés par l’ivresse du pouvoir et par la possibilité de marquer l’histoire, des hommes comme Donald Trump sont parfois prêts à tout afin d’imposer leur réalité, note l’auteur.
Photo: Brandon Bell Getty Images Agence France-Presse Portés par l’ivresse du pouvoir et par la possibilité de marquer l’histoire, des hommes comme Donald Trump sont parfois prêts à tout afin d’imposer leur réalité, note l’auteur.

Le 29 novembre dernier, Donald Trump a suggéré à Justin Trudeau que le Canada rejoigne les États-Unis comme 51e État. Bien évidemment, il s’agissait d’une blague du président désigné en réponse à la plainte du premier ministre canadien vis-à-vis de nouveaux tarifs douaniers. Or, qu’en est-il vraiment ? Le nouveau président désigné ne dissimulerait pas, derrière cette bonhomie, le fantasme de se retrouver dans le club très sélect de ceux qui fondent ?

Renovatio imperii

Longtemps en Occident, la puissance de l’Empire romain a fait rêver les hommes. Les tentatives de se réapproprier cette gloire perdue ont été nombreuses ; de Justinien à Charlemagne en passant par Charles Quint et Napoléon. Bien que la décolonisation mit à mal la plupart des empires restants, les événements récents dans plus d’un pays, comme en Russie et en Turquie, démontrent que la tentation d’un retour « impérial » est toujours présente.

En effet, celle-ci n’a généralement besoin que de la tête d’un dirigeant mégalomane pour se développer, et d’un contexte de crise favorable à l’expression d’un fort nationalisme historique, ethnique ou religieux. Est-il donc possible que les États-Unis, plus polarisés que jamais et ayant récemment investi leur nouveau président d’un pouvoir comme peu en ont eu avant lui, réunissent ces conditions ?

À plus forte raison, est-il concevable que Donald Trump, possédé par un ego démesuré, fantasme à l’idée d’accroître la « grandeur » de son pays, et par extension la sienne, au point de reluquer l’annexion territoriale de son voisin du Nord ? Il ne serait probablement pas contraire au personnage, que celui-ci se rêve à la tête d’un empire nord-américain, imaginant déjà son visage gravé dans le roc du mont Rushmore comme dans les Rocheuses.

La « blague » du président désigné Trump est également très éloquente quant à la vision qu’il se fait des Canadiens. En effet, il est probable que, pour lui, ce peuple ne soit que des Américains du Canada, partageant ainsi avec le pays de l’Oncle Sam bien plus qu’une frontière.

De son point de vue, le Canada ne se différencierait en rien, à l’exception de l’identité nationale : la langue, la culture, les marchés et la politique sont déjà très intégrés, voire dans certains cas indifférenciables. Le « America’s hat » ne serait donc finalement qu’une anomalie historique, une extension des États-Unis qui pourrait être corrigée à mesure que le Canada se fond dans son voisin du Sud.

Un avertissement

Cette blague n’est pas inquiétante en soi ; le Canada ne deviendra pas le 51e État des États-Unis. Ce n’est probablement qu’une boutade. Cependant, elle peut constituer un avertissement quant à l’état d’esprit, et à l’ambition, même fantasmée, que peuvent nourrir des hommes comme Donald Trump.

Ceux-ci, portés par l’ivresse du pouvoir et par la possibilité de marquer l’histoire, sont parfois prêts à tout afin d’imposer leur réalité. Même les principes démocratiques que nous croyons les plus solidement ancrés, comme celui voulant que personne n’est au-dessus des lois, ne sont pas à l’abri de potentielles dérives.

Cette blague ne sera fort probablement pas la dernière de ce type. Il faudra alors y porter une attention particulière. Parce que même des propos anodins sur l’unification politique de l’Amérique du Nord, lorsque prononcés par des hommes comme Donald Trump, peuvent porter en leur sein la tentation impériale.

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