Sortir de nos chambres d’ego

Que ce soit avec les élections américaines, la désaffection massive envers X ou encore avec les débats locaux sur le masculinisme, le racisme et le wokisme, la question des chambres d’écho revient à l’avant-plan.
Je fais partie de ceux que le phénomène préoccupe. En fait, il m’inquiète tant que j’ai nommé L’anti-chambre d’écho le balado que j’anime depuis quelques mois.
A contrario, certains intervenants ne cachent pas leur exaspération face à ce concept dont ils « ont soupé », car il justifie d’offrir une tribune à des points de vue jugés inacceptables.
Mais est-ce que ces idées tendent à disparaître si nous les occultons ou est-ce que nous attisons ainsi les divisions ? La question se pose.
Sans surprise, nous associons souvent les chambres d’écho aux tendances numériques qui les amplifient : algorithmes, réseaux sociaux et polarisations venues de l’étranger.
Or, même si les machines alimentent le problème des chambres d’écho, la solution n’en demeure pas moins profondément humaine : se parler dans le blanc des yeux, s’écouter et s’entendre ou du moins essayer. Jocelyn Maclure nous l’a rappelé dans un texte d’opinion paru dans La Presse : c’est la « compréhension mutuelle » qui contribuera à « apaiser nos différends ». À cette injonction, Patrick Moreau en ajoute une autre, dans un papier publié dans Le Devoir, qui pourrait briser le cercle particulièrement vicieux de la bipolarisation : nous donner le droit de ne pas être d’accord.
Plus largement, la polarisation découle aussi de nos silos. Chacun évolue dans sa propre réalité professionnelle, culturelle ou sociale, et peu de rapprochements permettent de transcender ces lignes de faille. Ce fossé entre les sphères de vie et les milieux amplifie notre manque collectif d’empathie, une carence qui n’a d’ailleurs ni couleur politique ni monopole idéologique.
Dans ce contexte, pourquoi ne pas transformer nos interactions sociales réputées anodines en occasions de connexion authentique ? Poussons l’audace : imaginons la tenue de journées carrières, étendues non pas seulement aux jeunes, mais à tous. Qui sait, accompagner un enseignant, un policier ou une fermière, ne serait-ce qu’un instant, pourrait nous ouvrir les yeux quant à des réalités insoupçonnées ?
Le rôle de la famille
Réitérons que la famille joue un rôle essentiel pour court-circuiter les chambres d’écho. Pourtant, les appels à ménager les susceptibilités en évitant les sujets sensibles autour de la dinde se multiplient. Or, s’il est une institution qui incarne un véritable safe space pour débattre et échanger librement, c’est bien la famille. Ses liens indéfectibles et sa diversité de générations et de points de vue en font un cadre idéal pour réapprendre à écouter, à confronter gentiment des idées et à découvrir certains terrains d’entente inespérés.
Il y a là un parallèle à tracer avec l’exercice du pouvoir. Les conseils municipaux et les partis politiques rappellent une grande famille (parfois dysfonctionnelle). Quatre ans durant, un groupe d’individus aux visions et aux bagages disparates s’exercent à faire preuve de respect et de compréhension, même dans le désaccord. S’il est un aspect de mon passage en politique que je chérirai longtemps, c’est sans conteste la beauté du compromis, cette dynamique qui, bien qu’exigeante, constitue un legs précieux.
D’autre part, les élus qui bousculent quelque peu le statu quo siègent aux premières loges pour constater un facteur clé de la polarisation croissante : notre égocentrisme aigu.
À ce chapitre, un groupe d’élèves m’a cependant redonné espoir. Lors de l’inauguration en grande pompe d’un parc municipal qui sert de cour d’école, les onomatopées enthousiastes fusaient de toutes parts. Puis, une petite bande s’est arrêtée net dans sa course, figée devant un module destiné aux tout-petits. Les moues contrariées et la grogne s’exprimaient librement : « On ne peut rien faire avec ça ! Pourquoi ils ont mis ça ici ? »
Mes biais allaient se confirmer quand soudain, l’un d’eux a lancé : « Ça doit être pour les bébés ». Ils sont repartis gaiement, le pas léger, le sourire satisfait.
L’égocentrisme n’est pas une fatalité.
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