Quelle tradition, Monsieur Legault?

« La tradition catholique, il faut s’en souvenir. Ça fait partie de ce qu’on est », a récemment déclaré le premier ministre en entrevue au Devoir. Selon François Legault, il ne « faut pas être gênés » d’évoquer cette tradition, dont les Québécois devraient être fiers.
Alors qu’il contemplait Notre-Dame de Paris des hauteurs du centre Georges-Pompidou, le premier ministre a estimé que « cette cathédrale veut dire beaucoup pour nos deux nations. Même si nos deux nations ont choisi la laïcité, il reste quand même quelque chose de cette tradition catholique ».
Eh oui, Monsieur Legault, il reste quelque chose de cette tradition catholique.
Il reste vous savez quoi ? Des relents de paternalisme, des odeurs de curé contrôlant sa paroisse et les mœurs de ses ouailles, quelque chose comme un idéal de troupeau uni derrière son berger. Aujourd’hui, Monsieur Legault, je trouve que vous jouez pas mal fort au berger. Pendant la COVID-19, votre paternalisme a pu être rassurant, et on s’est serré les coudes devant les difficultés. Mais ce temps où vous surplombiez la situation est terminé et on ne retournera pas à cette unité éphémère.
De qui, de quoi parlez-vous quand vous dites « notre Québec » ? Le Québec appartient à ceux et celles qui y vivent, qu’ils soient ici depuis un an ou cent ans. Nous ne sommes pas tous pareils ni tous d’accord. La souche québécoise est une illusion. Si vous parlez de la tradition catholique, faites-le avec un grain de sel, car beaucoup de Québécois dits de souche en ont souffert amèrement.
Comme mon grand-père, excommunié parce qu’il prônait l’école obligatoire jusqu’à 14 ans… Comme ma mère, comme les générations de femmes qui ont élevé des familles à n’en plus finir parce que le curé leur dictait de faire leur devoir conjugal et leur interdisait la contraception. Comme la honte et le rejet infligés aux « filles-mères », comme on les appelait.
Je n’en dis pas plus. Je conviens que l’Église catholique a véhiculé des courants spirituels appréciables, mais dans l’ensemble, le dernier siècle du catholicisme (1850-1950) a été d’une étroitesse étouffante. Refusant les étrangers, les Anglais, les juifs, les protestants, les non-catholiques, prêchant la pauvreté et l’ignorance, le clergé a façonné un ghetto québécois privé de la richesse des immigrants, des autres cultures, des autres façons de vivre. On y respirait un air de sacristie.
Est-ce que c’est là que vous voulez retourner, avec votre tradition catholique ?
Nous avons créé de nouvelles traditions d’ouverture, d’accueil, de création et de dynamisme depuis les années 1960. Elles ne sont pas catholiques, et elles ne sont pas intolérantes. Ne recommencez pas à bâtir des murs d’orthodoxie, de valeurs québécoises, de protection, d’interdictions, de pouvoir mâle. En fait, vous avez déjà recommencé. Alors, stop ! Votre laïcité intolérante ressemble trop à la religion que nous avons laissée derrière.
Reprenez plutôt le fil généreux et solidaire d’une (imparfaite) Révolution tranquille, que la droitisation néolibérale des 40 dernières années s’acharne à tailler en pièces.
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