Le prosélytisme importun

À peine quelques années après l’épopée des accommodements raisonnables, la question de la place occupée par la religion revient à l’avant-scène. Il appert que le prosélytisme inconvenant encouragé par une minorité extrémiste requiert des mesures préventives afin d’assurer le vivre-ensemble. Autrement, nous nous exposons à une contestation accrue des données de la science comme fondement de l’éducation, au refus de l’esprit critique et éventuellement au rejet de la laïcité. Sans oublier des accommodements déraisonnables consentis sous la pression et la capitulation.
Au Québec, il fallait faire preuve d’un manque patent de clairvoyance pour ne pas entrevoir le choc à venir. Reconnus comme étant plus ouverts sur la laïcité, la sexualité des jeunes, les unions libres, l’avortement, l’homosexualité, le mariage entre personnes de même sexe, et même l’aide médicale à mourir, les Québécois francophones se situent inévitablement en porte-à-faux avec plusieurs sociétés où la religion, fortement imbriquée, est inséparable de la politique, de la loi et de l’éducation.
Ici, les églises catholiques croulent sous le pic des démolisseurs, se désacralisent ou changent de vocation. Une désaffectation éclatante de la population à l’égard de la religion institutionnelle.
Le choc ressenti heurte d’autant plus la sensibilité que cette résurgence du religieux va non seulement à contre-courant de l’effort de laïcisation de la société québécoise depuis les années 1960, mais aussi à l’encontre des combats qui ont mené à l’émergence de valeurs sociales généralement partagées. Résultat ? Les natifs, de même que des immigrants qui ont fui le fanatisme de leur pays, déplorent d’avoir à mener un combat d’arrière-garde. Dans ce contexte, que faire ?
D’abord, il faudrait que l’idéal du vivre-ensemble fasse consensus quant à sa poursuite ici-bas. Autrement dit, qu’il l’emporte sur la promesse d’un salut dans l’au-delà. Vient ensuite la préséance accordée à l’objectivité scientifique dans les milieux scolaires sur les idéologies propagées par les fondamentalistes de tout crin. Reste l’adoption d’une laïcité admise et assumée dans les institutions de l’État.
Quant à enchâsser le tout dans une constitution, dans des lois ou dans des règlements, ou une forme d’engagement contractuel, c’est à voir. Hormis ces mesures de nature politique, la réflexion pourrait porter notamment sur l’aspect identitaire délétère qui subjugue certains groupes religieux. L’affiliation à des credo extrémistes répond trop souvent à un fort besoin d’appartenance qui crée un « Nous » compact dressé contre l’« Autre ». Un « Nous » qui exècre autrui en tant que païen, infidèle, mécréant, ignorant, décadent ou raciste. Un « Nous » imperméable à toute critique. Un « Nous » qui, encore aujourd’hui, engendre guerres, massacres, actes terroristes, discriminations, menaces et exactions innombrables… au nom de Dieu.
Enfin, que gagnerions-nous ou que perdrions-nous en adoptant une pratique religieuse plus « discrète », moins ostentatoire, moins triomphante, davantage réservée à la sphère privée et aux lieux de culte ? A contrario, imaginons ce qui adviendrait si tout un chacun affichait ses croyances en arborant très visiblement un voile, un niqab, une croix, un macaron avec écrit en grosses lettres « athée » ou « agnostique », un schtreimel, un turban, un poignard, une kippa, un vêtement orange… ou encore une robe noire, un chapelet et une cornette hérités de l’accoutrement de nos religieux de jadis, qui l’ont finalement délaissé afin de se rapprocher de la population. Une guerre de religions version moderne ?
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