Le procès du collectif Antigone est celui de l’échec des politiques climatiques canadiennes

Cette semaine se déroule le procès des militants du collectif Antigone pour une action de blocage entreprise il y a deux ans. En octobre 2022, dix écologistes ont réussi à interrompre le fonctionnement du pipeline 9B d’Enbridge et pendant un peu moins de 24 heures, le pétrole des sables bitumineux a cessé de circuler vers l’est. Ce pipeline a été ciblé parce qu’il représente à la fois un danger majeur pour l’eau potable de la grande région de Montréal et, avec ses 300 000 barils par jour, il est une composante clé de l’infrastructure de transport de pétrole extrême au Canada. Extrême, car le pétrole des sables bitumineux est l’un des plus polluants au monde, et si la planète veut éviter un réchauffement climatique au-delà de 2°C, 73 % de ces hydrocarbures doivent rester sous terre, selon le GIEC.
Faisant face à des accusations d’entrée par infraction et méfaits, les accusés ont plaidé non coupable et ils affirment avoir agi par nécessité pour défendre le vivant. Par leurs actions et leur défense, ce sont, de fait, les politiques climatiques du Canada qui sont mises au banc des accusés, ironiquement en pleine COP sur le climat.
En place depuis plus de deux décennies, force est de constater que les politiques climatiques fédérales ne donnent pas de résultats probants. Depuis, les exportations canadiennes de pétrole et de gaz ont connu une croissance exponentielle et, d’ici 2050, l’extraction de pétrole devrait augmenter de 22 %, selon les prévisions du fédéral. Bien que le Canada ait une panoplie d’outils pour intervenir dans la transition vers une économie décarbonée, dont (pour le moment) une taxe carbone, ainsi que des réglementations et des incitations, ces mesures n’ont pas ralenti de manière considérable la croissance des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur des sables bitumineux.
Tous les progrès réalisés dans la réduction des émissions de GES par les autres secteurs de l’économie et de la société canadienne ont été annulés par la croissance de leurs émissions. Nous faisons du surplace à 700 mégatonnes par an, alors que nos émissions doivent baisser radicalement si nous souhaitons respecter nos engagements de Paris d’ici 2030 et le « net zero » de 2050. Le plafond d’émissions pour le secteur des sables bitumineux envisagé sera trop élevé pour changer cette donne.
Selon le Climate Action Tracker, nos politiques climatiques actuelles risquent de conduire à une planète inhabitable, près de 3 degrés plus chaude qu’avant la révolution industrielle. Et cela ne tient pas compte des émissions en aval liées à nos exportations de pétrole et de gaz, car elles ne sont pas ciblées par le fédéral. Pourtant, elles montaient à 1030 Mt en 2023. Celles des seules exportations de pétrole des sables bitumineux ont doublé au cours des dix dernières années.
Pendant cette période, un total de 540 milliards de dollars a été investi dans l’extraction de pétrole et de gaz au Canada. L’industrie et le gouvernement ont promis que les investissements soutenus par l’État dans ce secteur permettraient d’obtenir un pétrole plus propre, pourtant, le pétrole des sables bitumineux reste parmi les plus sales de la planète en matière d’intensité carbone. À ce titre, comment l’industrie réalisera-t-elle son objectif de « zéro émission nette » d’extraction de pétrole d’ici 2050 ?
Antigone a bloqué le pipeline 9b parce que les gouvernements ont échoué à agir et le secteur des combustibles fossiles a veillé à ce qu’ils échouent, processus qui a été documenté par le consortium de recherche Corporate Mapping, basé dans l’ouest. Les preuves des scientifiques ont été ignorées ou stratégiquement entravées par les partisans des combustibles fossiles. Les citoyens qui plaident pour un changement par les voies habituelles de la démocratie n’ont pas été entendus. À mesure que la crise climatique s’intensifie, par nécessité, de nouvelles avenues doivent être empruntées, telles que la désobéissance civile, pour provoquer le changement. De plus en plus de scientifiques du climat se lancent dans des actions de ce type et appellent les autres à suivre leur exemple. Ils soulignent également la nécessité de mettre fin à la criminalisation de l’action climatique.
Compte tenu de l’ampleur de la crise, du pouvoir d’obstruction du secteur des combustibles fossiles ici au Canada et de la réponse anémique de nos gouvernements, la question n’est pas de savoir si les accusés d’Antigone ont enfreint la loi. La question est plutôt : pendant combien de temps une majorité d’entre nous allons accepter des politiques climatiques vouées à l’échec ? D’ici là, il faudra des Antigone pour défendre le vivant contre notre inertie collective.
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