La pédagogie moderne au coeur d’un chaos idéologique et d’une chasse aux sorcières

L’enseignant se trouve malmené de toutes parts, observe l’autrice.
Photo: Drazen Zigic Getty Images L’enseignant se trouve malmené de toutes parts, observe l’autrice.

Dans un monde où l’éducation s’éloigne de ses nobles aspirations, nous assistons à une transformation paradoxale du rôle de l’enseignant. La citation de Jean Jaurès voulant qu’« on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est » résonne aujourd’hui avec une ironie amère.

Le mot « pédagogie », du grec ancien paidagōgia (« conduite de l’enfant »), désignait initialement l’action des esclaves accompagnant les enfants à l’école. Au XVIIIe siècle, la pédagogie s’est transformée en une réflexion systématique sur l’éducation, devenant une discipline axée sur l’apprentissage et le développement humain. Les philosophes des Lumières ont joué un rôle central en remettant en question les dogmes et en promouvant la science, la tolérance et les droits de la personne.

Paradoxalement, nous semblons revenir à cette conception primitive. La pénurie d’enseignants qualifiés et la dévalorisation de la profession transforment le professeur en simple accompagnateur dépouillé de son statut d’expert et de transmetteur de savoir.

L’enseignant se trouve malmené de toutes parts. Aux prises avec des conditions de travail ardues et à une stagnation salariale, il fait face à l’agressivité de parents rois remettant en cause son autorité. Soucieuses d’éviter les conflits, les directions offrent souvent un appui complaisant à ces derniers. Le fameux « pas de vague », aussi appelé « devoir de loyauté », condamne les enseignants à éteindre eux-mêmes les voyants rouges des dysfonctionnements de l’École.

Au Québec, la parole des enseignants est de plus en plus soumise à des recadrages publics. Le cas des jeunes professeurs jouant aux influenceurs en est un exemple maladroit, attirant les foudres de leur hiérarchie et de la presse.

Ce qui me gêne particulièrement, c’est la condamnation médiatique d’enseignants qui font l’objet d’une enquête avant toute reconnaissance officielle de culpabilité. Les cas de « Madame Chantal » et de l’école primaire Bedford en sont des exemples frappants. Ayant été professeure belge au Québec, je connais les difficultés d’intégration et la rapidité avec laquelle des allégations xénophobes peuvent surgir. Malgré mon indéfectible soutien à la laïcité, je trouve cet étalage public d’enseignants faisant l’objet d’une enquête nauséabond.

La gestion des ressources humaines dans les écoles est souvent déficiente, la haute hiérarchie ne prenant pas en compte la diversité des points de vue. Dans ce contexte de chasse aux sorcières rendu possible par la loi 23, les enseignants ne devraient pas participer au lynchage public. Cette loi pourrait un jour se retourner contre eux.

L’érosion de l’autorité pédagogique s’inscrit dans une tendance sociétale plus large : l’obsession de l’instantané et de la simplification. Cette quête de facilité conduit à une dangereuse équivalence entre opinion et fait, entre croyance et connaissance. L’école se voit réduite au rang d’une entreprise de garderie, où la réussite massifiée l’emporte sur l’apprentissage.

Face à ce tableau, l’enseignant doit incarner le savoir qu’il transmet. Sa mission est de raviver la flamme de la connaissance dans un monde privilégiant l’instantané, en cultivant chez ses élèves l’esprit critique, le savoir écrire et le goût de l’effort intellectuel.

Peut-être qu’alors, le devoir de loyauté deviendra celui de la présomption d’innocence, de la distinction entre fait et opinion, de la grandeur d’âme qui ose dénoncer un système défaillant sans crainte. Le dénonciateur doit s’élever par l’art de convaincre, faisant preuve d’éthique et de rhétorique. Ainsi, la pédagogie retrouvera ses lettres de noblesse de l’époque des Lumières.

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