Papa, «Le Devoir» et moi

Papa est mort le 20 août 2024. Notre dialogue se poursuit grâce au Devoir.
Dans les années 1990, papa a commencé à acheter l’édition du samedi, parfois, puis régulièrement. C’était un renouement avec un journal qu’il avait lu souvent dans ses jeunes années. Je le voyais se délecter attentivement, égrenant sa lecture dans la semaine. Il disait que Le Devoir était encore d’actualité même plusieurs jours après sa parution. Attirée par les grands et larges cahiers, la typo élégante, les sujets de fond, le « Fais ce que dois », je suis devenue celle de la maison qui en partageait la lecture avec lui. C’était différent et complémentaire au Soleil, que nous recevions chaque jour.
Puis, vu l’intérêt manifeste qui se répétait de semaine en semaine, j’ai pensé lui offrir l’abonnement du samedi.
Moi, alors aux études en microbiologie, je suivais avec assiduité la course au séquençage du premier génome d’un être vivant et la montée des superbactéries résistantes aux antibiotiques. J’avais un tiroir plein de coupures de journaux. Le papier servait encore de mémoire ! C’est ainsi que j’aurai fait pour un cours une présentation sur le séquençage de l’ADN et que ma maîtrise porterait sur de nouvelles cibles pour contourner la résistance aux antibiotiques.
Des années plus tard, mon texte primé par le jury de la bourse Fernand-Seguin traiterait aussi des phages, les virus mangeurs de bactéries, comme option thérapeutique quand il ne reste plus d’antibiotiques. En 1998, je me souviens du cahier spécial sur le 50e anniversaire de Refus global. J’avais ensuite acheté le manifeste. J’apprenais mon histoire. Ça m’ouvrait la porte sur une éventuelle fascination pour Riopelle et les automatistes au Musée national des beaux-arts du Québec.
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Après quelque temps, l’abonnement au Devoir du samedi est devenu quotidien. Deux journaux papier à la maison chaque jour. Le bonheur ! C’est ce que je répéterai dans ma propre maison ensuite.
Papa m’offrira l’abonnement pendant des années. Je le grondais gentiment d’ainsi renouveler sans cesse, souvent sans me le dire et sans lien avec Noël ou mon anniversaire, mon abonnement. Je pouvais me le payer moi-même ! Mais c’était son plaisir puisque ça me faisait plaisir. Il me commentait ou me pointait des articles qu’il avait appréciés ; on pouvait en discuter. Comme quand il appelait pour nous indiquer qu’il y avait une émission si intéressante à TV5.
À l’été 2024, papa est entré aux soins palliatifs. On l’a chéri, on l’a entouré. On a voulu lui rendre douce et plaisante sa vie devenue tellement souffrante. Il a tenu à chérir tous les moments avec nous, jusqu’au bout. On l’a approvisionné en desserts. Il ne demandait plus rien. Plus aucun rêve à réaliser, il ne voulait que du temps avec nous.
Pourtant, une des seules demandes qu’il a formulées, c’était l’édition du jour du Devoir. Je lui apportais la mienne. On la partageait comme il y a maintenant 30 ans. Je lui ai lu des articles. Il écoutait attentivement, yeux fermés, hochant la tête après chaque phrase, rassemblant toute la concentration dont il était encore capable. Il aura lu par lui-même comme dernier texte une brève en A2. Ça portait sur le tennis, sport d’importance familiale. Sa mère, Charlotte, la championne et matriarche vénérée, avait remporté le tournoi de Lévis dans ses jeunes années. Papa gardait près de lui le signet funéraire la montrant avec son trophée, racontant fièrement son histoire à tout le personnel.
Papa, depuis ton départ, je me prends à vouloir partager mes lectures avec toi. Papa, tu aimerais lire ce texte. Papa, que penses-tu de celui-ci ?
Papa, merci d’avoir fait entrer Le Devoir dans ma vie. Ça reste entre nous.
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