Merci, Madame Plante

«Merci de nous avoir redonné du territoire», écrit l’auteur.
Photo: Valérian Mazataud Archives Le Devoir «Merci de nous avoir redonné du territoire», écrit l’auteur.

Il y a sept ans, nous nous étions croisés, le jour de l’élection, tout près de l’école Saint-Ambroise et dans la paroisse du même nom, dans La Petite-Patrie. J’étais en chemin vers le bureau de vote, et nos regards s’étaient rencontrés. J’étais content de croiser celle pour qui je m’en allais justement voter, celle dont les vents des sondeurs prédisaient depuis peu une victoire, si je me rappelle bien, à ma surprise je dois dire, moi qui rarement gagne mes élections.

Vous m’avez souri. C’était le sourire de quelqu’un qui voit ce qui vient, mais qui ne peut pas le dire encore. C’était la joie et l’enthousiasme léger de celle qui monte tranquillement les échelons des montagnes russes, sachant que quelque chose vient, vite et lentement à la fois, mais qui n’imagine pas encore combien le vent décoiffera, en descendant après le pic, le soir de la victoire. C’est d’ailleurs cette image qui s’est retrouvée sur la couverture de votre livre, une bédé qu’un candidat adverse se permettrait de critiquer : mais diantre, où une mairesse trouve-t-elle le temps d’écrire ? avait-il tonné, en somme.

J’étais si fier de ma mairesse écrivaine. Je sais que vous aurez plus de temps l’an prochain, et peut-être écrirez-vous davantage, sur ce que vous avez vu, vécu, une femme à la tête de la métropole, et tout ce que vos adversaires se permettraient de bassesses qu’ils ne se seraient pas permises si vous étiez un homme. Au sud de la frontière, on saura dans dix jours s’ils étaient prêts à élire une femme à leur tête, mais ici nous l’étions, il y a sept ans, et nous ne l’avons pas regretté, en vous élisant une deuxième fois, quatre ans plus tard.

C’est parce que Montréal avait tourné une page. Vous avez tourné cette page, merci. C’était la fin d’une ancienne façon de faire, une révolue manière de voir la politique municipale dans notre ville, le glas d’une époque où les élus municipaux montréalais marquaient leur passage par leur personnalité davantage que par leur vision. C’est souvent comme ça quand les hommes dirigent, vous le savez bien mieux que moi.

Depuis sept ans, ma ville change, mon quartier change. Là où nous nous sommes croisés en 2017, il y a maintenant des pistes cyclables larges et permanentes. C’est ce qui m’a le plus directement touché dans votre règne, cette chose en apparence toute simple, mais si profonde : changer le territoire. Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. En verdissant et en sécurisant les coins de rue avec ces fameuses saillies de trottoir un peu partout dans mon coin, en faisant construire les REV sur Saint-Denis et sur Bellechasse (et hourra, une autre en route sur Jean-Talon !), vous avez changé mon rapport au sol que je foule quotidiennement, et c’est énorme.

Nous sommes plusieurs cyclistes à avoir vu un jour ou l’autre ce mème où on représente la chose ainsi. Dans l’image, partout où il y a une rue asphaltée réservée aux voitures, on voit à sa place un trou béant, montrant combien presque tout l’espace public urbain moderne a été octroyé aux automobiles. Il ne reste alors que d’étroits trottoirs et des passages piétons représentés par ce qui ressemble à des planches suspendues sur le côté d’un navire dans les histoires de pirates. En somme, les piétons et les cyclistes sillonnent dans cette schématisation la ville du vingtième siècle comme des enfants qui longent les murs dans leurs jeux, en disant : « Attention, le sol est de la lave ! »

Merci, Madame Plante, de nous avoir redonné du terrain, pour une ville du vingt-et-unième siècle.

Merci de nous avoir redonné du territoire. J’aime penser que ce n’est pas une guerre, que je partage la route avec les autos, mais je sais aussi que, dans toute diplomatie, des moyens politiques plus forts sont parfois nécessaires. Et vous avez pris ces moyens.

J’étais à Copenhague l’été dernier, et j’ai vu le Montréal du futur : pratiquement une artère majeure sur deux est dotée de ce que nous nommons un REV, une piste cyclable avec voie de dépassement, et le plus étonnant est que cette ville est modifiée non seulement sur le plan territorial, mais aussi sur le plan sonore. On s’étonne en effet d’entendre dans des rues achalandées non pas les moteurs vrombir, mais les gens discuter. Et c’est là votre plus grand legs : donner un plus grand espace, dans l’air que nous respirons, au dialogue démocratique. Merci, Madame Plante, et bonne route.

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