Lorsque la science sert d’argument d’autorité aux politiciens

En décembre dernier, Le Soleil rapportait que Pierre Poilievre n’écartait pas un nouveau bâillon des scientifiques travaillant pour des ministères fédéraux. La nouvelle est passée largement inaperçue. Pourtant, elle témoigne de quelque chose d’important : l’aspirant premier ministre du Canada ne comprend pas la science, ou s’en moque.
La science joue un rôle vital dans une démocratie. La connaissance scientifique que les chercheurs développent permet au public de comprendre le monde d’une manière éclairée, parce que le processus qui précède les conclusions de leur recherche est accessible. Tout un chacun peut juger la connaissance scientifique en toute connaissance de cause. Voilà qui explique la force de la connaissance scientifique.
Par exemple, un chercheur qui mène une recherche et qui analyse des données doit expliquer en détail, généralement dans des articles révisés par les pairs, comment les données furent collectées, comment elles furent analysées, afin qu’un autre chercheur puisse repérer des failles qui ont peut-être joué sur les résultats. Il doit expliquer les limites des résultats, et les apprécier à la lumière d’autres travaux sur le même sujet.
Cette transparence permet, ultimement, qu’un autre chercheur puisse répéter la recherche, et puisse confirmer ou infirmer les résultats.
Évidemment, à l’ère des micromessages et des pièges à clics, la méconnaissance de la science et la popularité de la pseudo-science ne sont pas étonnantes. Mais lorsqu’il accède à la connaissance scientifique, le public peut saisir des enjeux comme il ne pourrait les saisir autrement. Il peut comprendre le monde d’une manière éclairée plutôt que de croire aveuglément les politiciens qui se posent en sauveurs. Le public peut apprécier de manière critique les décisions des politiciens, peut voter sur la base de faits plutôt que sur la base d’appels à la peur. Il n’est donc pas étonnant que des gouvernements autoritaires s’en prennent aux universitaires et tentent de les faire taire de différentes façons.
Mes recherches touchent rarement à l’arène politique. Je travaille sur des enjeux qui, entre autres, sont liés à la communication non verbale. Mais lorsque des charlatans du Web affirment que « la science dit » que 93 % de la communication passe par les gestes alors qu’il s’agit d’une extrapolation abusive de véritables travaux publiés dans les années 1960, que l’auteur de ces travaux, Albert Mehrabian, a lui-même expliqué être mal cité, la conclusion est assez simple : les pseudo-experts instrumentalisent la science. La science leur sert d’argument d’autorité, comme lorsqu’une célébrité vante les bienfaits d’un produit ou d’un service.
Quiconque comprend que la science joue un rôle vital dans une démocratie, que la connaissance scientifique bénéficie à la société, exclurait sans hésitation l’idée d’imposer un bâillon aux scientifiques fédéraux. Mais lorsqu’il ne l’exclut pas, Pierre Poilievre montre qu’il ne comprend pas la science, ou s’en moque.
Tâchons de nous le rappeler lorsqu’il invoquera haut et fort la science pour justifier des décisions tout en s’opposant au financement de la recherche, à la protection des chercheurs et à la liberté d’expression des scientifiques qui travaillent pour des ministères fédéraux, comme l’avait fait Stephen Harper.
La science n’est pas un outil de persuasion à géométrie variable. Quand des politiciens l’invoquent lorsqu’elle renforce leurs positions, mais l’ignorent lorsqu’elle affaiblit leurs positions, les politiciens instrumentalisent la science. La science leur sert d’argument d’autorité, comme le font des charlatans du Web.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.