Jusqu’où ira-t-on, Monsieur Legault?

Ces personnes sont au coeur de la recherche de solutions au problème névralgique de l’accompagnement des aînés dans notre société, note l’autrice.
Photo: Pascal Pochard-Casabianca Agence France-Presse Ces personnes sont au coeur de la recherche de solutions au problème névralgique de l’accompagnement des aînés dans notre société, note l’autrice.

Après deux mois à l’hôpital, ma mère — 86 ans — a dû se résoudre à entrer en CHSLD. Nouveau chapitre.

Après quatre semaines d’attente, un vendredi soir à 17 h 15, j’ai reçu un appel de l’hôpital m’annonçant qu’elle serait transférée dimanche matin. Dimanche, en plein week-end ? J’ai trouvé ça étrange. On m’a dit de passer chercher ses affaires à l’hôpital samedi, car elles ne voyageraient pas avec le transfert adapté.

J’y suis allée. Son sac de vêtements avait été égaré. J’ai fait les trois étages où elle a transité durant son séjour et aucun n’avait ses vêtements. Pas très grave. Une vieille robe et des souliers. On m’a dit que je pourrais aller la voir au CHSLD à partir de 13 h dimanche pour leur laisser le temps de finaliser le transfert et l’installation.

Mais à midi dimanche, j’ai eu un appel du CHSLD qui ne comprenait pas pourquoi ils avaient reçu ma mère. Ils n’avaient ni dossier, ni admission prévue, ni chambre disponible. Plusieurs appels plus tard. Le CHSLD m’a rappelé pour me dire qu’ils allaient la garder.

Quand je suis arrivée, elle était dans un petit cubicule qui sentait tellement l’urine que ça levait le coeur. Les murs étaient pleins de trous de plâtre. Sinistre. Ils n’avaient pas pu lui donner ses médicaments, car le docteur de l’étage n’avait pas pu voir son dossier. Un bordel absolu.

Après m’être renseignée, l’erreur provient du mécanisme de transfert du CIUSS, qui envoie les demandes de plus en plus tard. Celle-ci est parvenue le vendredi soir, à 16 h 30, au CHSLD. Si personne ne relève le courriel avant 17 h — ce qui est possible, car les journées sont surchargées —, personne ne prépare le dossier d’admission. (Le personnel de jour termine à 15 h 30.) Et voilà, le dimanche matin, un brancard arrive avec un humain dessus et il n’y a pas de chambre. Pas de dossier. Aucune information pour comprendre à qui on a affaire. Ni quel est son protocole médical.

Ma mère ne peut plus manger de solide ni avaler du liquide. Elle a un niveau trois d’épaississement des liquides. Donc, du manger mou et des purées. Sinon, elle est à risque d’étouffement. De plus, elle est sourde. Elle braque des yeux effarés, interrogateurs, et on peut croire qu’elle a perdu toute connexion avec le monde. Mais c’est simplement qu’elle cherche à lire sur les lèvres et qu’elle n’entend rien.

Si on ne sait pas ça, on peut difficilement s’occuper d’elle adéquatement.

Si j’écris ces mots, ce n’est pas pour blâmer qui que ce soit. Le mécanisme de transfert devrait peut-être revoir ses procédures et s’assurer qu’il y a une journée ouvrable complète entre le moment où la place est offerte et où le transport est programmé pour s’assurer que le centre d’hébergement est prêt pour l’admission.

Mais j’écris plutôt pour dire que le personnel du CHSLD a pris l’initiative, en se revirant sur un 10 sous, de préparer une chambre en catastrophe afin d’éviter que ma mère ne reparte vers l’hôpital. Les préposées et l’infirmière en chef, toutes issues de la diversité, ont pris à coeur cette situation. Elles n’ont pas donné de verre d’eau à ma mère, ne sachant pas si elle était à risque. Elles ont été professionnelles et précautionneuses.

Notre système de santé repose sur elles. Je choisis le féminin, car elles sont majoritaires, mais ça englobe le masculin. Absolument tout le personnel que j’ai croisé était issu de la diversité. Alors, Monsieur le Premier Ministre Legault, que vous faut-il pour comprendre que la société québécoise — et le système de santé — fonctionne grâce à ces personnes qui occupent des emplois que beaucoup ne veulent pas faire ? Des emplois de service à autrui, de présence, de care. Mais aussi de nettoyage, de ramassage de merde, de changement de couches d’adulte.

Ces personnes sont pour la plupart nées ici. Elles ne sont plus immigrantes, elles sont des Québécoises. Et sont au coeur de la recherche de solutions au problème névralgique de l’accompagnement des aînés dans notre société. Il faut le reconnaître et leur montrer concrètement notre gratitude.

C’est la fondation qui permet à un édifice de s’ériger correctement. Elles sont la fondation de notre système de santé. Je n’ai pas de mots pour les remercier d’avoir sauvé dimanche une vieille dame sourde perdue dans le brouillard du système.

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