Je ne veux pas devenir une États-Unienne

Ces dernières nuits, dans mes insomnies, j’ai commencé à me demander où je pourrais déménager. Je n’ai jamais pensé que je pourrais un jour devenir une réfugiée, une migrante, une exilée politique.
On entend qu’il est impossible que le Canada devienne un jour le 51e État des États-Unis, mais la peur n’est pas rationnelle. Une chose est sûre : je ne veux, sous aucun prétexte et en aucun cas, devenir une États-Unienne ! Je n’en veux pas, de cette société clivée, violente et dangereuse ; de cette religiosité obséquieuse ; de ces pensées et prières ; de ce culte de l’inculture, des armes et du mâle alpha ; de cette nourriture fade, trop grasse et trop salée ; de ce dirigeant voyou, violeur, condamné au criminel. Trump, je ne veux ni de toi ni de ce que tu prépares pour le monde !
Je veux un système de santé universel, un filet social pour les moins nantis, des garderies abordables, un respect de la science et de ses recommandations. Je veux une société moderne, égalitaire, ouverte sur le monde, intéressée à ce qui se passe ailleurs ; une société solidaire des autres nations, humaniste et permissive.
Je veux un État de droit. Je veux que les femmes puissent prendre elles-mêmes toutes les décisions concernant leur corps, et des hommes qui respectent cela. Je veux que chaque individu puisse se développer selon sa nature, sans discrimination selon le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, l’ethnie, la religion ou l’absence de religion.
Je veux un système d’éducation supérieure accessible au plus grand nombre. Et je veux payer des impôts, car c’est grâce à ceux-ci que nous n’avons pas une pauvreté galopante qui nous oblige à vivre emmurés, dans des quartiers sécurisés par des fils électriques, des tessons de bouteilles et des gardes armés.
Je veux ce que j’ai. Malgré ses imperfections et ses défauts, la société québécoise est celle dans laquelle je veux vivre. Je ne veux pas que notre culture si riche, notre littérature, notre cinématographie, nos arts vivants, nos arts visuels, notre créativité soient engloutis dans un océan anglophone où nous ne formerions plus qu’une goutte d’eau. Je tiens à la langue de mes ancêtres et à notre façon, ou plutôt à nos façons de la parler. C’est elle qui nous distingue, nous stimule, nous donne une pensée propre.
Si on ne m’en laisse pas le choix, je songerai sérieusement à partir. Où ? C’est ce à quoi j’ai réfléchi durant ces nuits sans sommeil. Sont tout de suite éliminés les pays européens, trop près de la Russie et de son désir d’expansionnisme. Oublions pour des raisons évidentes le Proche-Orient et le Moyen-Orient. La Chine ? Taïwan ? Poser la question, c’est y répondre.
L’Inde et l’Asie du Sud-Est me semblent trop sujettes aux chaleurs extrêmes, aux typhons, aux tremblements de terre et à la montée des eaux. L’Afrique ? Peut-être y a-t-il certains pays plus stables que d’autres ; je la connais si peu, mais tant de gens la quittent. L’Océanie avec ses étés de feux de forêt et d’air pollué ? Non.
Ne reste plus que l’Amérique du Sud. Mettons immédiatement de côté l’Argentine ; Milei ne valant pas mieux que notre voisin états-unien. Abandonnons aussi les pays où les cartels de la drogue font la loi, et surtout le crime, de même que ceux où il y a trop de troubles sociaux, politiques ou économiques.
Alors, au cas où, Uruguay, pronto de Yamandú Orsi (y antes de Pepe Mujica) o, si no, Chile, de Gabriel Boric. ¿ Podría por favor refugiarme en su país ?
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