Il faut réinventer notre rapport à l’actualité

En tant qu’étudiante en science politique, je consacre une grande partie de mon temps à analyser l’actualité, et je ne peux m’empêcher de me poser sans cesse la même question : pourquoi passons-nous aussi vite à autre chose ?
Le schéma semble se répéter inlassablement pour de nombreux sujets. D’abord, un scandale survient et déclenche un engouement médiatique intense. Puis, à mesure que l’indignation s’essouffle, la banalité s’installe et le sentiment d’impuissance prend le dessus. Ce cycle s’opère au détriment de dossiers importants qui mériteraient pourtant une attention durable.
Je suis convaincue que l’actualité gagnerait à relier les scandales actuels à des événements passés, souvent négligés, afin de favoriser une réflexion à long terme.
Ces derniers jours, un sujet m’a particulièrement frappée, révélant combien le potentiel de notre nouvelle ère médiatique reste largement sous-exploité.
En Irak, une proposition de loi visant à abaisser l’âge légal du consentement de 18 à 9 ans, qui autoriserait le mariage des jeunes filles dans le pays, a été mise sur la table. Selon un rapport de l’UNICEF de 2023, 28 % des Irakiennes sont déjà mariées avant leur majorité, et selon la Mission d’assistance des Nations unies pour l’Iraq, 22 % des mariages non enregistrés concernent des filles de moins de 14 ans. Le changement entraînerait l’annulation de la loi 188 adoptée en 1959, considérée comme la plus progressiste du Moyen-Orient. En plus d’avoir des conséquences désastreuses sur la sécurité des enfants, une telle révision de la loi augmenterait les risques de violence sexuelle et compromettrait grandement l’éducation des filles. Elle aurait aussi une incidence sur la capacité des femmes à divorcer et à hériter.
Niaz Abdullah est une journaliste iranienne. En 2022, elle a reçu le prix international de la liberté de presse, et elle est actuellement en asile politique en France. Pour elle, « cette loi peut être considérée comme pédophile ». Les débats concernant le mariage des enfants ne sont pas nouveaux, mais cette semaine, j’espérais qu’ils regagnent en puissance. Pourtant, force est de constater que le traitement médiatique reste fragmenté et sensationnaliste.
Trop souvent, nous avons tendance à penser que les reculs en matière de droits des femmes et des filles sont l’apanage de pays lointains, idéologiquement et culturellement éloignés. Pourtant, cette actualité irakienne devrait être un miroir. Aujourd’hui, alors que cette loi suscite à juste titre une réaction de l’opinion publique internationale, elle devrait également nous pousser à réexaminer des situations semblables déjà en place ailleurs dans le monde, parfois même plus proche que l’on ne le pense.
Aux États-Unis, par exemple, près de 40 États n’ont toujours pas interdit le mariage d’enfants, une réalité qui mériterait une plus grande attention. Dans certains États, il n’y a même pas d’âge minimum pour se marier. Selon une étude de l’ONG Unchained At Last, près de 300 000 mineurs ont été légalement mariés aux États-Unis entre 2000 et 2018.
Cet exemple est bien représentatif de mon propos initial. Je pense qu’avec la recherche du « clic », la manière dont les informations sont présentées passe à côté d’un atout puissant, celui de relancer des débats de fond et de mettre en lumière des problèmes systémiques qui transcendent les frontières.
Au lieu de chercher à choquer le public, les informations devraient nous inciter à réfléchir, à nous mobiliser, et à agir sur le long terme, en croisant des événements touchant différentes parties du globe. C’est là, selon moi, un enjeu crucial : réinventer notre rapport à l’actualité. Pour qu’elle ne soit pas seulement une succession d’indignations éphémères, mais un vecteur de prise de conscience collective et de changement durable.
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