Haro sur les déclarations incendiaires du patron de Meta

Manifestement très décontracté, en apparence du moins, le patron de Meta a commencé l’année en choisissant son camp par rapport à la protection et à la promotion des droits des enfants sur Internet. Il a choisi le camp de ceux qui placent l’intérêt commercial des entreprises au-dessus de l’intérieur supérieur de l’enfant, contrairement à ce que la Convention relative aux droits de l’enfant exige.
En brandissant l’homme de paille du sacro-saint principe de la liberté d’expression et l’argument de la censure — utilisé à de nombreuses reprises dans l’histoire de la lutte contre les contenus préjudiciables sur Internet, notamment la pornographie accessible aux enfants dans les années 1990 —, il a choisi de faire de situations isolées de censure un argument de poids pour discréditer tout un système de vérification des faits. Surtout, il a présenté les efforts d’encadrement du Web comme un recul pour la démocratie, et un drame pour le bien commun et la liberté de tout un chacun, dans un discours truffé d’arguments douteux qui ont été largement déconstruits par plusieurs journalistes et plusieurs spécialistes.
Rappelons qu’en 2021, le Comité des droits des enfants des Nations unies a publié une observation générale offrant des lignes directrices aux pays qui ont ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant pour protéger les droits des enfants sur Internet. Les États-Unis peuvent bien s’en laver les mains puisqu’ils n’ont jamais ratifié ladite Convention (bien qu’ils l’aient signée, donc ils ne devraient normalement pas agir en contradiction avec celle-ci).
Or, pour le reste des pays du monde, nos engagements internationaux envers les enfants nous imposent plusieurs obligations pour qu’Internet ne soit pas un espace de haine et de faussetés pour les internautes, particulièrement les personnes mineures. Parmi ces engagements, on dit entre autres que les pays devraient « encourager les fournisseurs de services numériques utilisés par les enfants à appliquer un étiquetage des contenus concis et intelligible, par exemple sur le caractère approprié selon l’âge ou la fiabilité du contenu ».
De manière générale, la lutte contre la désinformation ET la lutte contre la discrimination, entre autres pour les enfants appartenant à des minorités sexuelles, ethniques ou religieuses, font partie de nos engagements internationaux. Et par-dessus tout, nous avons le devoir de veiller à ce que, dans toutes les décisions qui concernent la fourniture, la réglementation, la conception, la gestion et l’utilisation du numérique, l’intérêt supérieur de chaque enfant soit une considération primordiale.
Dorénavant, dans les nouvelles politiques d’exploitation de Meta annoncées la semaine dernière, il est explicitement mentionné que le groupe autorise « les allégations de maladie mentale ou d’anormalité lorsqu’elles sont fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle, compte tenu du discours politique et religieux sur le transgendérisme et l’homosexualité et de l’utilisation courante et non sérieuse de mots tels que “bizarre” ». Cela envoie un très mauvais signal pour la protection de la dignité humaine et celle des enfants dans le cyberespace.
La semaine dernière, l’animateur Jimmy Kimmel, dans son populaire talk-show de fin de soirée (un talk-show qui fait du bien au moral de ceux qui croient encore à la justice sociale et à la défense des droits des femmes, des enfants et des minorités en ces périodes troubles), a utilisé l’expression brillante « Zuckerberg kisses the ring » pour décrire ce qui se dégage de la vidéo publique d’annonce des récents changements. Les déclarations qu’elle contient, politiquement teintées et orientées effectivement pour embrasser la bague du nouveau président, laissent pour compte la protection des personnes mineures face aux fausses nouvelles et aux contenus potentiellement haineux et préjudiciables pour les plus vulnérables d’entre eux.
On dit souvent qu’en droit, la bonne foi se présume… En faisant un appel à la peur, en utilisant des arguments non fondés et douteux pour tenter de justifier sa décision et en faisant primer l’intérêt de son entreprise sur celui des enfants, Mark Zuckerberg nous démontre une mauvaise foi qui va à l’encontre de l’ambition de rendre le monde virtuel plus sain et respectueux des droits des enfants… et des droits de la personne, de manière générale.
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