Un gouvernement américain sans âme

«Les États-Unis seront donc gouvernés par une équipe de profiteurs qui est appelée à fonctionner en marge de tout ce qui fait l’épine dorsale d’une grande nation», dit l’auteur.
Photo: Allison Robbert Agence France-Presse «Les États-Unis seront donc gouvernés par une équipe de profiteurs qui est appelée à fonctionner en marge de tout ce qui fait l’épine dorsale d’une grande nation», dit l’auteur.

« Les meilleurs et les plus brillants », telle était l’expression employée pour caractériser l’équipe formée par John F. Kennedy peu après son élection à la présidence américaine en 1960. Ce cabinet était composé pour une bonne part des meilleurs talents et compétences issus des universités et autres institutions prestigieuses des États-Unis. L’enthousiasme qui en est résulté était sans doute excessif. Cette fameuse équipe a déçu à certains égards. Mais on était en droit de constater que la première puissance du monde avait fait appel à ses meilleures ressources pour constituer un gouvernement.

Quel contraste avec les choix de Donald Trump ! Ils font suite à une victoire électorale qui traduit une forte opposition aux élites de la nation. Comme on l’a signalé à plusieurs reprises, le peuple mal informé s’est révolté contre une classe politique jugée insensible à ses préoccupations. On en est venu à croire qu’un personnage aussi odieux, immoral et inapte à gouverner que Donald Trump allait répondre aux attentes d’une population exaspérée par le coût de la vie et autres malaises sociaux.

Plusieurs électeurs se sont retenus devant ce choix. Ils pouvaient reprocher beaucoup de choses aux démocrates, mais ils répugnaient à accorder leur confiance à Donald Trump. En fait, il n’y a pas que les élites politiques, de droite comme de gauche, qui se sont opposées à la candidature du hâbleur milliardaire. Il faut ajouter la plus grande partie des élites intellectuelles, celles de la science comme celles des arts et de la culture. Le monde du divertissement comme celui de l’information, à l’exception de Fox News et autres agences à la solde de l’organisation de Trump.

J’oserais affirmer que les forces vives de la nation, tout ce qui a fait jusqu’à maintenant la grandeur morale, politique et culturelle de la démocratie américaine, se situent hors de l’orbite du président désigné.

C’est là une situation tout à fait exceptionnelle. Pour les États-Unis, mais aussi pour le monde. On a vu des populations se rebeller contre des élites, mais elles étaient presque toujours animées par une intelligentsia, soutenues par des artistes et des écrivains. Rien de tout cela, pour le moment du moins, autour du mouvement MAGA (Make America Great Again).

Les personnes nommées par Trump en vue de son éventuel cabinet ne se distinguent ni par leur compétence, ni par leur vision politique, ni par leur expérience. Elles ont en commun leur loyauté absolue au futur président. Contrairement à l’équipe qui entourait le milliardaire lors de son premier mandat, en grande partie recrutée parmi l’establishment du Parti républicain, on imagine mal que ces personnes puissent porter entrave aux fantaisies narcissiques de Donald Trump. Plusieurs d’entre elles sont là pour venger, détruire, démanteler ce qu’on appelle le « Deep State », qui n’est rien d’autre que l’essentiel de l’état de droit, ce qui garantit la permanence des institutions d’une société libérale.

Un complotiste à la Santé, une avocate qui a accompagné Trump dans le déni des élections de 2020 à la Justice, un journaliste voué à écarter les femmes des forces armées à la Défense, une personne connue pour ses complicités internationales à la Direction des services de renseignement…

Ajoutez à cela la présence d’Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, accompagné d’un libertarien notoire, Vivek Ramaswamy, à la direction d’un département chargé de réduire la taille de l’État, ce qui doit se traduire inévitablement par une déréglementation massive de l’entreprise privée. Comme conflit d’intérêts et accroissement des écarts de richesse, on ne saurait trouver mieux.

Les États-Unis seront donc gouvernés par une équipe de profiteurs qui est appelée à fonctionner en marge de tout ce qui fait l’épine dorsale d’une grande nation. On cherche en vain une âme à ce gouvernement. Il faut espérer que ces forces vives, ces élites intellectuelles, scientifiques et artistiques, s’emploieront à faire obstacle à ce gouvernement et à éviter que leur pays ne tombe dans la déchéance totale.

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