Gare au piège du communautarisme, Monsieur Bouazzi

Le député Haroun Bouazzi
Photo: Francis Vachon Le Devoir Le député Haroun Bouazzi

Il y avait quelque chose de malaisant, voire de malsain, dans le propos du député de Québec solidaire (QS) Haroun Bouazzi, prononcé début novembre devant les invités de la Fondation Club Avenir, essentiellement des immigrants et de nouveaux arrivants.

M. Bouazzi, qui a lui-même immigré au Canada il y a une vingtaine d’années, est censé connaître l’enthousiasme que porte en lui un nouvel arrivant, en même temps que ses craintes et ses angoisses liées au déracinement.

C’est un immigrant qui le dit : il n’y a pas pire façon de compromettre l’intégration d’un nouvel arrivant que de lui signifier, de prime abord, que sa culture sera foulée au sol et qu’il pourra faire l’objet d’un racisme assumé, y compris au sein de l’Assemblée nationale.

Franchement, Monsieur Bouazzi, n’est-ce pas vouer ces personnes au désespoir alors qu’elles n’ont probablement même pas fini de défaire leurs valises ? Cela porte un nom : le piège du communautarisme. C’est un mécanisme que vous connaissez bien, je crois, car le discours qu’il sous-tend peut notamment permettre de recruter de futures voix qu’on se précipitera d’enfermer dans l’urne solidaire, quitte à hypothéquer l’avenir de milliers d’immigrants et celui du Québec au passage.

La vision d’un immigrant qui prend pour communauté le Québec dans son ensemble sera plus large, mais sa voix sera potentiellement minorée par ceux qui misent sur l’enfermement et l’auto-exclusion sociale pour s’en faire un tremplin électoral. Ou encore, se faire une place de choix au sein d’un parti.

À mon avis, il y a pire que le supposé racisme, Monsieur Bouazzi. Le pire, c’est plutôt d’empêcher les gens de vivre leurs propres expériences. C’est de conditionner les esprits pour les condamner à la fatalité de l’échec par la faute des autres. C’est d’attiser la haine au risque de nourrir, de part et d’autre, des ressentiments et, ce faisant, d’exacerber des cas de racisme isolés pour que toute intégration devienne impossible.

Pourtant, votre parcours et ce que le Québec et le Canada vous ont offert, Monsieur Bouazzi, ont de quoi stimuler la volonté et l’enthousiasme des étudiants et des nouveaux arrivants.

Pourquoi ne pas les encourager à retrousser leurs manches, à étudier et à travailler fort, au lieu de prendre le pli des milieux communautaires et de trouver du réconfort dans la nostalgie du pays perdu… jusqu’à songer à en créer un autre, un tout petit, au sein d’un Québec qui offre pourtant, malgré les difficultés et les obstacles qui peuvent se dresser devant lui, des chances de réussite ?

Vous savez très bien, Monsieur Bouazzi, pourquoi ces jeunes et ces familles ont quitté des pays comme les nôtres. Je connais bien votre pays, la Tunisie. Je viens de l’Algérie. C’est parce que ces jeunes et ces familles ont plus de chances ici que là-bas qu’ils ont choisi le Québec.

Votre pays d’accueil vous a offert la possibilité de vous opposer à la dictature de l’ancien président Ben Ali, de monter un collectif en 2010, et d’obtenir jusqu’à la révision de la législation canadienne pour empêcher le transfert de capitaux issus de régimes dictatoriaux corrompus. J’ai une pensée pour les parlementaires d’ici qui ont fait en sorte que pareille mesure soit prise par le gouvernement Harper. Je ne suis pas certain que vous auriez pu réussir cela à partir de la Tunisie.

Sans compter qu’en Tunisie, avec l’actuel président, Kaïs Saïed, vous n’auriez jamais pu tenir les propos que vous venez de soutenir en sol québécois.

Admettons qu’en mai 2024, vous ayez été député au Parlement tunisien lorsque le président Saïed a ordonné aux forces de l’ordre l’évacuation de camps de migrants subsahariens installés à Tunis, devant le siège d’une organisation internationale humanitaire. Est-ce que vous auriez pu dénoncer l’embarquement de centaines de migrants, dont des femmes et des enfants, dans des camions, pour qu’ils soient ensuite abandonnés à des frontières désertiques, théâtres de guerres et de crises humanitaires ? Je ne sais pas si, le cas échéant, vous auriez fait montre d’une telle bravoure, mais je sais pertinemment que, si vous l’aviez fait, vous vous seriez retrouvé en prison.

C’est ce qui me fait conclure, Monsieur Bouazzi, que s’accommoder de son siège au Parlement québécois, et aller, en même temps, prêcher la victimisation devant un parterre de nouveaux arrivants est, le moins qu’on puisse dire, un exercice de mauvaise foi. Laissez-les vivre leur propre expérience…

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