La fin d’une utopie

« La victoire d’un homme ouvertement misogyne cumulant une longue série de propos dégradant et sexiste et condamné pour agression sexuelle n’appartient pas à une génération vieillissante », observe l’autrice.
Photo: Julia Demaree Nikhinson Associated Press « La victoire d’un homme ouvertement misogyne cumulant une longue série de propos dégradant et sexiste et condamné pour agression sexuelle n’appartient pas à une génération vieillissante », observe l’autrice.

Au sortir des résultats dont on se remet à peine, Andrew Tate enfile les gazouillis pour célébrer une victoire qui semble lui revenir. « The patriarchy is back », peut-on lire. Puis, plus loin : « Boys, we are so back. » Force est d’admettre qu’il a raison là-dessus. C’est bel et bien la victoire d’une armée d’hommes qui détestent les femmes. Je passe mon doigt sur mon téléphone et parcours un à un ses messages de haine. Vous avez raison de paniquer, écrit l’influenceur masculiniste, c’est terminé. Difficile de ne pas le croire quand, pour les femmes du Sud, tout est sur la table. Avortement, pilule contraceptive. D’autres ajoutent le droit de vote à la liste de ce qui ne nous revient pas.

Ma génération, la génération Z, a grandi avec une croyance, la certitude inébranlable que nous étions l’armée de citoyens qui allait tout changer. Une sorte de glissement vers quelque chose de mieux allait se produire une fois que nous serions aux commandes. À chaque revers collectif, on se consolait comme on le pouvait. C’était une sorte de lumière au bout du tunnel.

On se disait qu’un jour, maîtres dans notre royaume, on en serait débarrassés une fois pour toutes, des valeurs traditionnelles. On avait qu’à tenir le coup. Les nostalgiques d’une époque où l’épouse attend sagement son homme en lui préparant son repas, on en avait presque terminé. Moi la première, j’ai grandi avec la conviction que nous allions changer le monde. Le racisme et la misogynie appartenaient à d’autres. Ce rêve, avec bien d’autres choses, est mort cette semaine.

La vérité, c’est qu’il n’y a pas de cassure générationnelle. La victoire d’un homme ouvertement misogyne, cumulant une longue série de propos dégradants et sexistes et condamné pour agression sexuelle, n’appartient pas à une génération vieillissante. Elle est celle d’une armée d’hommes qui détestent les femmes. Et cette idée, le fantasme d’une génération vertueuse qui n’a rien à voir avec le père qui l’a élevée, ne tient finalement pas la route. L’âge n’a rien à y voir. La haine est dans tous les camps. C’est, pour ma part, le plus dur à avaler de cette élection.

Quand on demande aux gens pourquoi ils ont voté pour Trump, l’économie est la raison qui revient mille fois. Bien sûr, on en trouvera moins pour répondre que leur haine des femmes a motivé leur choix. Mais nous, on le sait bien. S’ils l’annoncent moins ouvertement, le contrôle de notre corps et l’envie de nous remettre à notre place y sont pour quelque chose. Et puis, de toute façon, si c’est bien vrai, si l’économie a eu raison de leur vote, si le prix du gaz l’emporte finalement sur le droit des femmes d’exister, les hommes ne se cachent plus pour nous dire combien ils nous méprisent.

Et qu’on ne me dise pas qu’ici, c’est différent. Comme vous, je connais dans mon entourage quelques admirateurs de Donald Trump. Devant leur facilité à l’annoncer ouvertement, cette désinvolture à se dire sympathisants d’un président ayant le soutien du KKK est à glacer le sang. Il n’y a plus de honte à se tenir du côté de la haine. Et pour la première fois, il n’y a pas d’utopie d’une nouvelle génération qui viendra nous sauver derrière laquelle se ranger.

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