Effets de toge

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, recevant le rapport Proulx-Rousseau, le 26 novembre dernier
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, recevant le rapport Proulx-Rousseau, le 26 novembre dernier

À la lecture du Rapport du Comité consultatif sur les enjeux constitutionnels du Québec au sein de la fédération canadienne, déposé le 27 novembre dernier à l’Assemblée nationale, les citoyennes et citoyens que nous sommes sont en droit de se demander si le Québec n’est pas devenu une krytarchie.

Le gouvernement des juges que désigne ce mot fait partie de la liste peu glorieuse des formes de gouvernement regroupées sous la désignation générale d’oligarchie, soit le gouvernement du petit nombre sur la majorité innombrable dans sa diversité, sur le peuple.

Commandé par un avocat, à deux autres avocats, qui se sont entourés d’avocats pour mener à bien leurs réflexions et les conclusions qu’ils en tirent, le rapport fait la part belle, pour ne pas dire exclusive, à une vision comme un entonnoir qui nous aspire, avec nos forces vitales, dans le drain légal et régalien que représente le dominion du Canada depuis sa création en 1867 par « les pères fondateurs », à peu près tous des avocats.

Ce rapport fascine, car il est lui-même le fruit d’une fascination de nos élites pour la loi, le langage de la loi, la pensée de l’Autre à laquelle nous sommes inféodés collectivement et avec l’aval de nos élites depuis les débuts de la Confédération. Comment peut-on s’enfirouaper ainsi ? Comment peut-on encore s’ingénier à chercher dans les fonds de tiroir constitutionnels le petit change qu’on espère donner à cette machine pensée et voulue pour broyer, dans le temps comme dans le temps, notre inquiétante étrangeté collective ?

Les commissaires font oeuvre utile, indéniablement, en démontrant que la chose est encore possible, qu’elle l’a toujours été, que cette dynamique absurde anime depuis les débuts, depuis les actes de la British North America, depuis la première Constitution « codifiée », en 1867, notre existence politique. Leur rapport et ses 42 recommandations en sont une preuve de plus.

Mais l’entre-soi juridique ne s’arrête pas là, tant s’en faut, car lundi, en ces pages, le professeur de droit et président de Droits collectifs Québec, Daniel Turp, s’enthousiasmait à l’idée qu’on ait un jour prochain notre Constitution québécoise codifiée et le Conseil constitutionnel qui vient avec, comme dans les vrais pays, la France et les États-Unis — à ce détail près et tout de même non négligeable qu’il s’agit là de deux républiques, fondées, comme l’étymologie du mot l’indique, sur la raison du peuple.

De peuple, dans ce rapport, il n’est jamais question, de sa raison non plus, on l’aura compris.

Le peuple, peut-être faut-il chercher son pouvoir créateur sur une autre scène ? Avec mon fils, nous étions samedi soir au théâtre pour y voir l’adaptation de Kukum, le roman de Michel Jean. Moi qui pratique le métier de comédien depuis plus de vingt-cinq ans, j’ai eu le sentiment extraordinaire d’assister à un premier spectacle, à un tout premier conte qui émanait réellement d’ici, d’icitte.

Sur la scène du Nouveau Monde, se mélangeaient les corps et les langues d’une rencontre gardée taboue parce que honteuse au regard de l’Autre, un regard que nous avons fait nôtre jusqu’à nous désâmer. Sur la scène et dans la salle, dans ce théâtre, on pouvait sentir poindre un monde nouveau, dans ce récit mythique, comme le début d’une assemblée constituante, prélude à une Constitution inédite qui serait, oui, enfin, « à la fois le miroir et le portrait idéal » d’une nation inédite.

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