Donald Trump nous provoque

«En brandissant la menace de l’annexion, Donald Trump accorde une importance inhabituelle au Canada dans les milieux politiques de Washington», observe l’auteur.
Photo: Brandon Bell Getty Images Agence France-Presse «En brandissant la menace de l’annexion, Donald Trump accorde une importance inhabituelle au Canada dans les milieux politiques de Washington», observe l’auteur.

Trump est un homme méchant. C’est dans sa nature. Pour lui, une négociation réussie consiste à faire mal à l’autre partie. Il ose soulever la question la plus épineuse qui soit pour les Canadiens. Celle de l’anomalie géographique de notre existence comme pays. En effet, le Canada s’est développé sur une ligne d’est en ouest à l’encontre de la voie de communication la plus naturelle, du nord au sud. Il fallait à tout prix résister à l’attraction américaine. Halifax est tellement près de Boston, Montréal de New York, Toronto de Buffalo et Detroit, Vancouver de Seattle. Beaucoup d’énergie a été dépensée pour contrer cette tendance. Le Canada est un défi !

Nous n’en prenons peut-être pas tout à fait conscience. Le Canada est un sous-produit de la Révolution américaine. Il n’existerait pas aujourd’hui si les élites québécoises n’avaient pas refusé l’invitation faite par Benjamin Franklin en 1776 de participer à la révolution entamée par les colonies britanniques. Une grande partie de la population canadienne avait facilité la double invasion des troupes rebelles, sous la direction de Richard Montgomery au sud et de Benedict Arnold à l’est. Le Canada n’existerait pas non plus dans sa forme actuelle si les loyalistes n’avaient pas été forcés de trouver refuge au nord de la nouvelle république des États-Unis.

Ces événements ont engendré un sentiment permanent d’amour-haine envers le grand voisin. Une attraction constante au point que la tentation de l’annexion a été récurrente. Mais aussi la fierté de résister. Une politique de réciprocité commerciale a été rendue nécessaire au milieu du XIXe siècle, quand les Britanniques ont mis fin au protectionnisme. L’Amérique du Nord britannique a été créée en 1867, pour une bonne part, en réaction à l’abandon de la réciprocité par le Congrès américain.

De leur côté, les Américains se sont refusés à étendre leur prétendue « destinée manifeste » jusqu’au Canada. En dépit des boutades de quelques présidents (Ulysse Grant en 1870, Rutherford Hayes en 1879, tout comme Donald Trump en 2025), les dirigeants américains ont compris qu’ils tiraient assez d’avantages à maintenir une politique dite de « porte ouverte » aux échanges économiques pour ne pas s’encombrer d’une présence politique. On a pu célébrer ainsi deux cents ans d’une longue frontière non défendue qui a donné lieu à une forte intégration des deux économies, surtout à l’occasion des deux guerres mondiales, à des accords de défense du continent, à un traité de production de défense en 1959, au Pacte automobile de 1965, au traité de libre-échange de 1988, renouvelé en 2018. John F. Kennedy, dans un discours au Parlement en 1961, a trouvé les mots pour qualifier la relation : « La géographie a fait de nous des voisins, l’histoire, des amis, l’économie, des partenaires, et la nécessité, des alliés. Ceux que la nature a unis, ne laissons pas les hommes les désunir. »

Donald Trump va-t-il mettre fin à cette belle entente au détriment des intérêts économiques de son pays aussi bien que des nôtres ? Peut-être. Ce qui est certain, c’est qu’il ne s’engagera pas dans un projet d’annexion. Pour la bonne raison qu’il a sûrement compris qu’il ne serait pas président si le Canada faisait partie des États-Unis. Les Canadiens, beaucoup plus favorables au Parti démocrate, auraient fait élire Kamala Harris.

En brandissant la menace de l’annexion, il accorde une importance inhabituelle au Canada dans les milieux politiques de Washington. On peut souhaiter qu’il en résulte une prise de conscience du caractère particulier de la relation entre les deux pays, tellement intégrés que l’imposition de tarifs devient tout à fait insensée. C’est bien plutôt une union douanière qui servirait les intérêts des deux pays. Cette option a déjà été envisagée et pourrait revenir à la surface.

Alors que tant de Canadiens voient l’ascension de leur carrière dans une présence aux États-Unis, à l’instar des Donald Sutherland, Michael J. Fox, Céline Dion, Alanis Morissette, Denis Villeneuve, pour ne nommer que ceux-là, et alors que tant d’Américains s’illustrent au Canada, il est patent que faire mal à l’économie canadienne n’est rien de moins que suicidaire pour une bonne partie des États-Unis. Trump finira bien par le comprendre.

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