Que disent les études de la privatisation de la santé?

«La concurrence entre les établissements de santé a des effets bien réels sur l’offre de soins», écrit l’auteur.
Photo: Christinne Muschi La Presse canadienne «La concurrence entre les établissements de santé a des effets bien réels sur l’offre de soins», écrit l’auteur.

Étant en train de rédiger les dernières lignes de mon mémoire en économie sur les dynamiques de la concurrence du privé en santé, je me permets de vous faire part de quelques constats de la littérature scientifique qui sauront, je l’espère, vous éclairer.

Le 1er novembre 1970, suivant les recommandations de la commission Castonguay-Nepveu de 1967, le gouvernement du Québec a instauré la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), régime par lequel il souhaitait améliorer la santé de la population québécoise en assurant l’accessibilité et la gratuité de la plupart des soins dans la province. Le gouvernement du Québec est devenu, par l’intermédiaire du ministère de la Santé et des Services sociaux, le seul prestataire des soins hospitaliers sur le territoire du Québec.

Les choses sont toutefois appelées à changer puisque la nouvelle agence Santé Québec est officiellement entrée en fonction, le 1er décembre. Les assises législatives de Santé Québec reposent sur le projet de loi no 15, Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace, adopté sous bâillon le 9 décembre 2023. Cette nouvelle loi donne le pouvoir au ministre de la Santé de « conclure des conventions visant le financement d’établissements privés » et « l’exercice de certaines activités, de même que l’exploitation des centres médicaux spécialisés […] et des établissements privés ».

Cette réforme introduira sans aucun doute de la concurrence dans le réseau de la santé et affaiblira par le fait même le monopole du gouvernement sur les soins hospitaliers instauré en 1970.

Il faut d’abord comprendre que les soins de la santé ont des caractéristiques fort différentes des biens standards, notamment l’absence de prix, faisant en sorte qu’on ne peut bêtement y appliquer les hypothèses de la concurrence économique classique. La productivité supérieure des hôpitaux privés est un argument fréquemment utilisé par certains partisans de l’ouverture du réseau de la santé au privé. Or, il n’existe à ce jour aucune étude scientifique crédible qui affirme hors de tout doute que les hôpitaux privés sont plus efficaces ou moins chers que leurs contreparties publiques.

Toutefois, la concurrence entre les établissements de santé a des effets bien réels sur l’offre de soins. Elle peut entraîner des conséquences indésirables, comme une diminution de la qualité des services ou une sélection des patients faisant en sorte que les plus démunis sont délaissés par le réseau. D’ailleurs, une récente revue de littérature publiée dans le prestigieux journal The Lancet constate que les hôpitaux convertis au privé augmentent considérablement leurs marges de profits en sélectionnant des patients moins coûteux et en réduisant le nombre d’employés. Le portrait des études compilées est assez clair : la privatisation des hôpitaux nuit à la qualité des soins.

Plus encore, les modélisations économiques montrent que la concurrence accrue entre les hôpitaux contribue à augmenter les coûts de la rémunération des employés sans augmenter la quantité de soins produits. La crise des agences de placement privé en est un exemple bien réel, qui se manifeste déjà au Québec. Malgré sa noble intention de légiférer pour limiter leur influence, en laissant le reste du réseau glisser vers le privé, le gouvernement du Québec se retrouvera essentiellement avec les mêmes problèmes.

Le réseau de la santé faisant face à une augmentation importante des coûts et des problèmes chroniques de financement, la privatisation n’est pas la voie à suivre.

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