La dignité

Le mercredi 29 février 1984, une nuée de journalistes s’amasse au bureau du premier ministre Trudeau. Il annonce sa démission et insiste pour diriger le pays et son parti tant qu’il n’aura pas trouvé de nouveau chef au Parti libéral du Canada (PLC). Il s’agit bien évidemment du très honorable Pierre Elliott Trudeau. Lundi 16 décembre 2024, son fils Justin, lui, s’entête à faire le contraire quand est venu son tour de quitter la vie politique.
Bien que Justin Trudeau semble l’oublier, les chances que le gouvernement libéral reste au pouvoir frôlent l’impossible dans la prochaine année. Ce n’est pas en faisant le tour des balados que le premier ministre redorera suffisamment son image. Le temps est venu pour Justin Trudeau de regarder ce qu’il a fait pour le Canada et non pas ce qu’il peut faire pour le Canada.
Il l’a dit lui-même en entrevue le 5 octobre dernier, il a des regrets sur ses politiques publiques, en l’occurrence sur la réforme du mode de scrutin. Comment peut-on avoir des regrets si l’on croit pouvoir encore gouverner ? Comment peut-on avoir des regrets quand l’on croit pouvoir gagner les prochaines élections ? L’équipe des rouges sait très bien ce qu’elle fait…
Alors, si Trudeau sait qu’il va perdre, que fait-il encore là ? Plusieurs analystes ont émis l’hypothèse que l’homme d’État ne souhaite pas brûler un candidat « primo-ministrable ». C’est noble de ne pas vouloir envoyer quelqu’un à l’abattoir, mais, en attendant, c’est tout un parti qui attend patiemment son tour de passer chez le boucher.
Leur calcul sera-t-il bon ? L’avenir nous le dira, mais j’aimerais rappeler aux stratèges de la colline du Parlement que Joe Biden s’est retiré avant de perdre sa vice-présidente… Les démocrates n’ont peut-être pas gagné les élections, mais imaginez si Biden était resté. Trump aurait pu sabler le champagne de la victoire dès les urnes fermées. Nul besoin d’être un grand analyste pour comprendre que Trudeau fait fausse route.
De plus, le PLC regorge de leaders qui pourraient prendre la place du premier ministre : François-Philippe Champagne, Mark Carney, Chrystia Freeland, etc. Tous, qu’importe leur affiliation politique, reconnaissent que les ministres libéraux sont ceux qui ont le plus d’expérience en gouvernance d’affaires publiques. Normal, ça fera bientôt dix ans qu’ils dirigent le pays. Ensuite, ce sera aux électeurs de choisir si c’est ce qu’ils veulent.
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On dirait que ce principe démocratique a été oublié par nos dirigeants : c’est le peuple qui décide. Emmanuel Macron, le président français, s’entête à nommer un nouveau gouvernement minoritaire chaque mois. La mode est à appeler aux élections frauduleuses. Cela ne se produit pas seulement aux États-Unis, mais dans bien d’autres pays, comme la Géorgie.
Sachant tout cela, il n’est pas surprenant que les citoyens n’aient plus confiance en leurs élus. Quand un politicien n’en fait qu’à sa tête, qu’il ne représente plus ses électeurs, il perd la confiance.
Il fut un temps où les politiciens avaient de la dignité : quand de Gaulle démissionnait à la suite de sa défaite lors d’un référendum ; quand Nixon démissionnait après le Watergate… ; quand Pierre Elliott Trudeau démissionnait parce que le climat politique lui était hostile en pleine crise économique ; quand Joe Biden laissait sa place à Kamala Harris afin de donner un espoir aux démocrates. Ils ont tous été dignes de leur poste.
Lorsque la faucheuse, appelée opinion publique, a sonné à la porte, ils ont accepté leur mort politique. Cher très honorable Justin Trudeau, le temps est venu… démissionnez.
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