La déconstruction des acquis sociaux

Le chantier de la déconstruction des acquis sociaux entamé chez les ultraconservateurs issus de la droite américaine met au grand jour des stratégies qui s’inspirent des visées fondamentales du patriarcat. Ébranlé dans ses assises au cours des dernières décennies, celui-ci reprend de la vigueur sous l’action de groupes religieux et politiques bien décidés à imprimer un mouvement de balancier dont les femmes et les minorités sexuelles font déjà les frais.
Les discours que se font rabattre nos voisins américains ont des allures d’une riposte à saveur patriarcale qui couvait depuis un moment. Tôt ou tard il fallait s’attendre à ce que des hommes (et des femmes) appellent de tous leurs voeux un retour à l’ancien ordre établi, leur modèle de moralité. À cet égard, l’abolition renversante du droit à l’avortement aux États-Unis constitue une attaque frontale qui ne peut être prise à la légère. Mais de quoi il retourne exactement ?
Historiquement, le patriarcat pur et dur fait référence à un système où les hommes, soucieux de transmettre leur héritage à leurs fils biologiques, ont tout mis en place pour réduire la femme à sa fonction de reproductrice. Entendre qualifier de « femmes à chats » celles qui oeuvrent en politique et qui n’ont pas d’enfants prend ici tout son sens. Idem pour les menaces à peine larvées à l’endroit des communautés LGBTQ+ qui présentent une certaine ambiguïté s’agissant de l’impératif de la reproduction. Pour y voir plus clair, sachons que la certitude de la paternité biologique ne pouvait reposer que sur le respect de deux exigences incontournables : la virginité des filles jusqu’au mariage, et la fidélité sexuelle absolue de l’épouse. Une entreprise de taille, s’il en est, qui se concentre sur des mesures destinées à contrôler le ventre de la femme.
En ce qui concerne la virginité au mariage, la surveillance traditionnelle des filles a refait son apparition depuis quelque temps chez nos voisins américains. Entre autres par le rituel des voeux de chasteté organisé par certaines communautés religieuses, et la résistance tenace aux cours d’éducation sexuelle dans les cursus scolaires. Une façon pour le moins naïve de penser contenir la pulsion sexuelle dans un pays connu pour son fort taux de grossesses non désirées chez les adolescentes.
Par ailleurs, l’on revient à l’opprobre social jadis exercé à l’endroit des récalcitrantes par le truchement des lois antiavortement. Elles subissent ni plus ni moins l’équivalent de punitions sévères, soit celles de mener leur grossesse à terme et de compromettre ainsi leur santé et leur avenir. Avec le dénigrement des moyens contraceptifs enseignés dans les écoles, tout concourt à réduire à néant la sécurité et la liberté acquises par les jeunes dans l’exercice de leur sexualité. Et que dire des adultes, des conjointes et du danger des relations extraconjugales qui menacent directement la paternité ?
Que favoriseront les apôtres d’un retour au patriarcat ? S’inspireront-ils des mesures de contrôle extrêmes adoptées ailleurs ? Les cat ladies subiront-elles une forme de disgrâce ? Verrons-nous de plus en plus d’hommes dominateurs et enclins à penser qu’il ne convient pas d’exposer leur femme aux regards concupiscents de la gent masculine ? Assisterons-nous au développement d’une mentalité où l’autonomie financière des femmes acquise par la scolarisation et le travail rémunéré représente une menace, un moyen pour s’affranchir de la tutelle du mari ?
Pour l’heure, la montée de la violence conjugale demeure un indicateur à surveiller. Celle du contrôle exercé par ces intimidateurs qui cherchent à confiner leur conjointe au foyer, superviser leur habillement, suivre leurs déplacements, limiter leurs fréquentations et exiger des comptes rendus intempestifs. Bref, assurer une emprise totale.
Retenons que la compréhension des fondements du patriarcat aide à mieux saisir à quel point l’appropriation de leur corps par les femmes indispose. Enfin, il est légitime de s’interroger sur les femmes qui approuvent la limitation des droits durement gagnés par leurs soeurs au cours des dernières décennies, ainsi que sur la représentation de la femme dans les trois grandes religions monothéistes. Il est important de noter que ces religions se sont toutes développées au sein de sociétés profondément patriarcales.
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